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Une révolution... à la mode ?

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Toutes les logistiques ne se valent pas. En fonction des choix de stratégie commerciale, de production ou de distribution, certaines marques misent sur une cible précise de consommation et peuvent aller jusqu'à bouleverser les flux mondiaux de produits, jusqu'à provoquer la faillite de grands groupes pourtant bien implantés qui n'ont peut-être pas su saisir une opportunité technologique à temps pour y faire face.

C'est ce qui semble perturber fortement le secteur de la mode depuis quelques années, et l'évolution de la logistique moderne n'y est probablement pas pour rien...

      1. Contexte

Les grands noms de la Mode, qui ont marqué toute une génération, sont en train de tomber les uns après les autres… Quelles sont les raisons derrière la chute de ces géants, que rien ne laissait supposer, pour le grand public, qu’ils puissent s’effondrer ? S’agit-il de bouleversements dans les stratégies de vente, un changement dans le mode de distribution ou des comportements de consommation ?

Les marchés ne se sont pas effondrés et l’inflation forte que nous connaissons actuellement n’étaient pas encore impactante sur l’économie mondiale tandis que de grandes marques vestimentaires ferment définitivement leurs portes depuis quelques années. Est-ce que les aspects logistiques ont contribué à la survie ou la chute de ces magasins : capacité à anticiper les ventes, pré-positionnement de stocks, support des coûts d’infrastructures et maîtrise de la chaîne d’approvisionnement de bout en bout… ?

L’AFT vous propose cette note de synthèse pour essayer de recouper ce qui a pu payer ou non dans les stratégies du secteur de la Mode du prêt-à-porter.

 

      2. Synthèse AFT

Tout le monde en est conscient : le marché de la mode est lié à des règles qui lui sont propres. L’originalité, la visibilité, ou la réputation, sont des facteurs très importants puisqu’il faut à ces enseignes rester au plus près des consommateurs pour que ces derniers continuent à consommer parmi leurs produits à chaque nouvelle génération d’articles. Marché très puissant à l’échelle internationale[1], il était jusqu’à présent organisé en deux « saisons » de nouveaux produits, alignées sur les modes de consommation des pays développés, jouissant d’un climat tempéré et équilibré (printemps/été et automne/hiver).

Mais force est de constater que le développement de la mondialisation et l’essor de la digitalisation ont conjointement apporté de nouvelles règles aux marchés internationaux. Une compétitivité croissante sur les coûts de production et donc un bouleversement de l’origine des matériaux autant que des sites de production. Une accélération des comportements de consommation et notamment de l’aspect compulsif de certains achats, parmi lesquels la mode fait partie.

Il faut alors, pour des enseignes traditionnelles, réfléchir à un positionnement stratégique nouveau. D’un côté, il s’agit pour certains de renforcer son image de marque, de développer sa capacité de production ou d’affirmer la réputation de l’existant. De l’autre, une adhésion aux nouvelles pratiques et technologies, et une refonte complète du modèle de distribution. Dans les deux cas il y a une prise de risque, puisque les consommateurs ont toujours apprécié le changement dans la mode, dont la spécificité et de parvenir à se démarquer des autres, de la même manière qu’une flexibilité accrue de la distribution implique alors d’être capable de créer de la nouveauté en permanence et de dépendre de stocks très faibles pour rentabiliser les opérations.

Les nouveaux concepts de fast fashion et d’ultra fast fashion sont nés et se développent fortement sur les marchés occidentaux depuis les années 1990. Avec elles, ce sont de nouvelles manières de concevoir pour défendre avant tout les prix bas. C’est aussi une nouvelle façon de distribuer pour surfer sur le développement du e-Commerce, et de réduire les points de vente physique pour exploiter au mieux les plateformes numériques.

Bien sûr, en face de cette stratégie axée sur les coûts et l’originalité, il y a celle de la qualité et la durabilité. Avec les impacts grandissants et visibles du dérèglement climatique, c’est un conflit interne pour les consommateurs puisque leur pouvoir d’achat permet difficilement aux plus jeunes d’accéder à des produits de grande marque, et leurs habitudes de consommation s’inscrivent alors dans le temps auprès de distributeurs adeptes de la production de vêtements à consommation jetable.

En face d'une stratégie de coûts et d'originalité, il y a celle de la qualité et la durabilité.

Les enseignes traditionnelles françaises doivent se réinventer mais la plupart ne prennent pas le virage du digital pour proposer un accès à leurs produits via une interface en ligne. Ils se coupent ainsi des nouveaux comportements de consommation. La création de nouvelles marques, mêmes à prix réduits et via des canaux de conception/distribution distincts, peinent également à se faire connaître. Et comble de l’ironie pour ces marques traditionnelles : ils doivent supporter également les coûts de leurs invendus, là où les nouveaux modèles produisent à un coût faible et en quantités réduites pour que leurs stocks soient rapidement écoulés.

Par-dessus ces transformations sectorielles, les plus grandes marques doivent également garder le contrôle sur les contrefaçons, qui portent préjudice à leur image et ce qui fait leur force face à la fast fashion : la qualité. La traçabilité a donc un coût supplémentaire et l’investissement sur les nouvelles technologies, comme les certificats numériques et l’interface de leurs systèmes de suivi avec ceux de leurs partenaires.

Le marché de la seconde main se développe très fortement aussi. Les économies sont importantes pour tout un chacun, mais les clients se préoccupent aussi de donner une seconde vie aux produits dans un monde aux ressources limitées. Les marques qui se saisissent de cette opportunité pour rebondir peuvent alors revendiquer des valeurs de durabilité et de souci de l’environnement, quand les autres passent à côté.

Le marché est ainsi très rapidement réactif aux choix de transformation ou non à ces enseignes de la mode vestimentaire : l’immobilisme ou le manque de réactivité coûtant très cher à ceux qui n’ont pas su s’aligner sur tous ces changements. Impact d’autant plus difficile pour le personnel, dans les plans de licenciement à répétition, que les nouveaux acteurs n’ont pas besoin d’eux et que les anciens se développent autrement, grâce aux nouvelles technologies et l’automatisation…

Bref, un secteur dont les dernières tendances font beaucoup de dégâts… sur le marché et l’ensemble des personnels concernés.

 

      3. Influences de la logistique

C’est bien un ensemble de facteurs qui ont mis à mal le modèle de plusieurs grandes marques de la mode. Cependant, si l’on y regarde de près, il y a bien plusieurs éléments logistiques qui ont contribué ou accéléré la chute de certaines marques. La transformation des modèles de distribution a été au cœur des enjeux de survie et de compétitivité des acteurs principaux du secteur. Dès lors que la stratégie commerciale n’était pas suffisamment claire, ou renforcée, sur l’existant, mêmes des acteurs historiques se sont retrouvés en difficulté et le sont encore pour certains.

Parmi les éléments clefs pour surmonter cette évolution majeure des marchés, la maîtrise des coûts et celle de la traçabilité ont également été critiques pour le secteur de la mode. Les facteurs de réactivité et la capacité que ces enseignes ont pu avoir à se transformer dans les temps, avec la bonne stratégie, face à l’essor des nouveaux acteurs du marché, ont fortement impacté la rentabilité des modèles. Il est évidemment toujours plus simple de réécrire l’Histoire après qu’elle se soit écrite, mais on peut raisonnablement établir que leur capacité à modifier leurs canaux de distribution, leur réseau de points de vente et la réactivité aux statistiques de vente, toutes au cœur de la maîtrise des flux logistiques, ont accéléré la chute de ces acteurs. Le processus est similaire quel que soit le marché, mais il a été particulièrement marqué dans la mode ces dernières années.

Actuellement une nouvelle tendance se dessine, qui aurait permis à ces enseignes de se relever si elles avaient tenu suffisamment longtemps pour relancer leur modèle ; la valorisation de la durabilité des produits. A l’heure où il faut être vigilant sur l’exploitation des ressources, la réutilisation et la durabilité des produits, c’est le développement durable qui devient le fer de lance de la mode « nouvelle génération ». On constate l’ambivalence des consommateurs, entre une nouvelle génération d’adolescents qui souhaite plus d’investissements dans la protection de la planète… et en parallèle des habitudes de consommation qui sont déjà bien ancrées dans les usages de ces derniers.

Dans les années à venir, cela signifie une autre forme de prise de risque logistique pour le secteur : des flux beaucoup moins rapides, des volumes de produits qui circulent de façon circulaire et non plus à sens quasi-unique vers le consommateur final, une réorganisation des sites logistiques pour des ateliers de confection, etc.

A suivre donc, pour assister à une nouvelle révolution de la Mode !

 

Définitions

Fast fashion : mode éphémère ou mode express, c’est un segment de l'industrie vestimentaire qui se caractérise par le renouvellement très rapide des vêtements proposés à la vente, plusieurs fois par saison, voire plusieurs fois par mois.

Ultra fast fashion : consiste à produire de nouvelles collections en un temps record, on parle alors de mode interchangeable et jetable.

Sources


[1] Environ 6% de la consommation mondiale en 2018 – source : Giulia Mensitieri, « Le plus beau métier du monde ».

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