Green mind
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Environnement et Développement Durable, Innovation, Mobilité, Nouvelle économie, Prospective et innovation

Retour sur le Webinaire Green mind : "Comment développer la résilience des entreprises"

Publié le

Un webinaire a été organisé le 15 octobre 2020 par l'AFT dans le cadre du projet Green mind, financé par le projet Interreg MED. Ce projet vise à renforcer la compétitivité économique et l’innovation dans le domaine de la mobilité verte et intelligente dans la zone méditerranéenne.

Cet article vous en propose une restitution

Comment développer la résilience des entreprises, leurs compétences et leur capacité à innover, en cette période troublée par les bouleversements de la crise sanitaire ? 

Pour répondre à cette question, un webinaire a été organisé par l'AFT, le 15 octobre 2020 avec la participation de Mme Salima Benhamou, Mr Christophe Caset-Carricaburu et Mme Patricia Ruiz. 

Nous vous en proposons, dans cet article, une restitution. 

Les organisations de travail apprenantes, expliquées par Salima Benhamou

Salima Benhamou, Economiste


Salima Benhamou
, docteure et économiste à France Stratégie au département Travail, Emploi, Compétences, et co-auteure de l’étude « Les organisations du travail apprenantes : enjeux et défis pour la France », nous explique ce que sont les organisations de travail apprenantes, et en quoi et comment elles concourent à l’innovation.

Qu’est-ce qu’une organisation de travail apprenante ?

C’est une organisation qui cherche à développer en continu les capacités d’apprentissage de ses membres pour anticiper les transformations futures dans un environnement complexe. Ce modèle repose sur trois piliers : 

  • Des pratiques RH et managériales hautement participatives visant à développer les compétences en continu et l’autonomie de l’ensemble des salariés. Cela passe par l’implication dans l’élaboration des objectifs, mais aussi la résolution de problèmes complexes et l’expérimentation de nouvelles méthodes de travail. Ce qui se fait notamment via la constitution d’équipes pluridisciplinaires sur des projets clairement définis et partagés.
     
  • Une démarche managériale encourageant la remise en question des cadres et règles préétablies pour favoriser l’innovation de la part des salariés. Cela passe par une réflexion sur les processus et le travail de manière systémique et non en silo. Se tromper n’est pas une erreur mais un droit pour progresser.
     
  • Un haut niveau de flexibilité et de réactivité organisationnelle, directement lié à une capacité élevée d’innovation. Cela passe par la coopération, les échanges d'informations entre les salariés et le travail en réseaux avec d’autres parties prenantes de l’entreprise.

En résumé : 
Une organisation apprenante vise à développer les compétences et autonomie des salariés en les responsabilisant.

Clés de la réussite :
- Définir clairement les objectifs à atteindre + les partager et faire adhérer les collaborateurs à ces objectifs + leur donner les moyens de les atteindre.
- Favoriser la remise en question systémique des processus de travail +donner la possibilité de se tromper pour progresser
- Inciter la coopération et les échanges d’informations entre tous les collaborateurs.

En quoi se différencie-t-elle des autres organisations ? 

Actuellement, il existe deux types d’organisations qui sont majoritairement répandues.

  • Le modèle classique (ou taylorien). Il se caractérise par des modes de coordination et de décision très centralisés, entre le top management qui conçoit la stratégie et la grosse majorité des salariés qui exécutent. Le travail se caractérise par une forte division des tâches de conception et des taches d’exécution et par un contenu du travail très routinier.
    Il ne sollicite donc ni la créativité ni l’autonomie, et encore moins le travail en équipes pluridisciplinaires. C’est en adéquation avec le contexte dans lequel il a été créé au XIXe siècle, puisqu’il était pensé pour évoluer dans un environnement très stable et prévisible.
     
  • Le modèle lean management. Dans ce mode d’organisation du travail, les salariés bénéficient d’une certaine autonomie mais elle est plus limitée que dans une organisation apprenante (méthodes, rythme, contrôle de la qualité). En effet, cette approche managériale contraint aussi les salariés au strict respect des normes en raison d’un haut niveau de standardisation des processus de production. 

Plus les processus de production sont standardisés et plus la substitution humaine-machine sera élevée car les systèmes basés sur l’intelligence artificielle s’adaptent particulièrement à des tâches déjà normalisées.

D’après l’étude que nous avons menée auprès de 648 salariés, les salariés qui travaillent dans une organisation apprenante ont plus de chances d’occuper un emploi stable, d’accéder à la formation continue, que ce soit en situation de travail ou à l’extérieur de l’entreprise, de bénéficier de meilleures conditions de travail et d’une meilleure qualité de management. Tout ceci contribue à une meilleure performance sociale et génère des gains économiques pour les employeurs car la productivité et les capacités d’innovation dépendent aussi des compétences et de l’implication des salariés.

En résumé : 
Le modèle taylorien privilégie la division stricte de tâches routinières de conception vs d’exécution, ce qui freine drastiquement l’autonomie et la créativité des salariés.

Le modèle de lean management est plus souple mais contraint les salariés à respecter une standardisation stricte des tâches pour limiter les coûts.

Le modèle apprenant est le plus adéquat pour naviguer dans un environnement instable/ imprévisible, en favorisant l’autonomie et l’innovation qui participent à la résolution de problèmes.

Pourquoi l’organisation de travail apprenante est-elle peu représentée en France ?

Le modèle d’organisation apprenante est sous-représenté car la dimension organisationnelle et managériale est souvent sous-estimée dans les politiques publiques françaises visant à soutenir l’innovation, la compétitivité et le développement des compétences. Cette donnée est difficile à évaluer empiriquement mais elle est éclairée par l’observation du système de formation initiale français. En effet, le système éducatif valorise beaucoup plus le savoir théorique et abstrait délivré par la filière académique classique que les compétences opératoires des filières professionnelles. Aussi, les salariés qui ont accès à la formation continue suivent majoritairement des formations qui se déroulent en dehors de l’entreprise, sous forme de cours ou de stages. Alors que les actions de formation sur le lieu de travail (« learning by doing » accompagné d’un formateur), qui visent à accroître les compétences de manière plus opérationnelle, sont moins développées.

Pourtant, c’est à travers les pratiques organisationnelles et managériales que les organisations du travail jouent un rôle déterminant dans la manière de gérer et développer les connaissances, savoir-faire et compétences sur le lieu de travail.

L’organisation apprenante peut-elle contribuer à rendre les entreprises plus résilientes face à la crise sanitaire que nous traversons actuellement ?

La crise sanitaire nous invite à repenser notre manière d’organiser nos méthodes de travail, pour faire face à l’imprévisible. Cela ne passe pas tant par une modalité particulière qui est le télétravail que le contenu du travail en lui-même et la manière dont sont gérés les savoirs.

En effet, la volatilité de l’environnement sera bientôt déterminée par de nombreux facteurs tels que l’intelligence artificielle, le ralentissement de la croissance des gains de productivité, l’émergence de crises économiques et géopolitiques successives, etc. La performance des entreprises passera de plus de plus par des organisations du travail capables d’optimiser rapidement la gestion des savoirs et des compétences et d’anticiper les changements, même brutaux.

En résumé :

Bien qu’elle chamboule la quasi-totalité du tissu économique, la crise sanitaire nous rappelle l’imminence d’un monde encore plus complexe qu’aujourd’hui avec lequel il faudra composer. Elle pourrait ainsi participer à faire émerger un nouveau paradigme organisationnel, celui de l’organisation apprenante qui optimise la gestion et l’adaptabilité des savoir et des compétences.

 

L’éclairage des professionnels

L’éclairage des professionnels : qu’en pensent des chefs d’entreprises du T&L ?

Christophe



Christophe Caset-Carricaburu
, Président de Services Ecusson Vert (SEV), est à la tête d’une TPE de 16 salariés dont le cœur de métier est la livraison verte du dernier kilomètre à Montpellier. SEV participe aussi à des programmes innovants comme la Smart City ou encore le test d’un véhicule intelligent expérimental Renault ou de droïdes.

 

 

 

 

L'innovation est au cœur de la stratégie de SEV, pouvez-vous nous en dire plus sur les projets dans lesquels vous êtes impliqué ?

Je devais trouver de nouvelles solutions pour développer ma société, et j’ai commencé à nouer un partenariat avec la Métropole de Montpellier pour développer la logistique urbaine via des véhicules électriques. Par la suite, la Métropole m’a mis en contact avec un équipementier qui cherchait à monter un prototype de véhicule de livraison urbain adapté aux livreurs. Je suis aussi impliqué dans le cluster CARA, pôle de compétitivité européen pour les solutions de mobilité, pour une expérimentation sur les véhicules autonomes.

Vous êtes à la tête d'une TPE de 16 salariés, comment faites-vous pour être aussi innovant ?

L’innovation passe par un véritable engagement dans l’écosystème de ma ville, mais aussi par la structure de mon entreprise. En embauchant des livreurs et un responsable d’exploitation, j’ai pu dégager du temps pour me concentrer sur des projets innovants. Je suis maintenant membre du cluster logistique Occitanie « We4Log », et je suis souvent sollicité par la Métropole ou la région pour trouver des solutions ensemble.

Quels bénéfices tirez-vous de ces collaborations avec des partenaires extérieurs ?

C’est avant tout une croissance à deux chiffres et malgré la situation actuelle. Le deuxième bénéfice est l’agrandissement rapide de mon équipe – de 10 à 16 salariés en 10 mois. Cela me permet aussi d’avoir une meilleure réactivité par rapport à l’évolution de mon marché cible. Par exemple, j’ai développé la livraison alimentaire à domicile pour répondre au besoin grandissant du e-commerce et des clients particuliers.

C’est aussi la possibilité, en temps qu’autodidacte, de développer des compétences personnelles via un apprentissage continu.

Pensez-vous que le modèle d'organisation apprenante présenté par Mme Benhamou permette de répondre aux enjeux que vous connaissez ? Quels avantages voyez-vous à ce type d'organisation et quels freins à son déploiement anticipez-vous ?

La description de Madame Benhamou est intéressante, cependant le modèle d’organisation apprenante est compliqué à appliquer dans une TPE comme la mienne avec très peu de personnel et parfois un manque d’investissement de leur part. En effet, le métier de livreur est peu valorisé et nous avons un problème de recrutement, nos salariés ne font pas leur métier par passion. Le gros challenge de la direction est donc de les intéresser et les investir.

À l’écoute de ce qu’est une organisation apprenante, je vais réfléchir à des solutions pour impliquer mes salariés dans la vie de la société. Par exemple, des démarches d’écoconduite, et plus généralement des actions qui vont dans le sens d’un développement durable, peuvent susciter leur intérêt. Par rapport à l’étude de France Stratégie, je pense que c’est aussi important que nous soyons reconnaissants des compétences de nos salariés et leur permettons de les faire évoluer en interne. Il faut montrer que la direction souhaite que les salariés s’investissent, pour les motiver et pour qu’ils trouvent des solutions qui nous ouvriront peut-être demain de nouveaux marchés.

Groupe Ruiz 

Patricia Ruiz dirige le Groupe Ruiz, PME familiale spécialisée dans le transport de marchandises routier et la logistique. Le Groupe RUIZ continue sa croissance depuis plus de 50 ans, et a choisi de s’engager il y a un an et demi dans une démarche collaborative de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) avec ses salariés.

 

Pour quelles raisons le groupe Ruiz s'est-il engagé dans cette démarche RSE ?

Le déclic vers la démarche RSE s’est fait suite à la lecture du rapport publié par France Stratégie en 2017. On a rapidement remarqué que nous avions déjà développé des actions dans ce sens, et qu’il fallait les expliquer à l’ensemble des salariés.

Ensuite on s’est rapproché de cabinets de consultants où l’on a fait un état des lieux. Ce diagnostic nous a permis d’obtenir des aides publiques pour l’accompagnement RH et le déroulement de notre stratégie. Nous avions un double-enjeu, ne pas paraître comme un clan familial au sein de l’entreprise existante et intégrer la croissance externe sur un deuxième site. Il fallait donc expliquer à nos collaborateurs nos objectifs et que nous voulions les atteindre avec eux.

Concrètement, comment le groupe Ruiz s'est-il organisé pour mettre en application cette démarche RSE ?

Nous avons instauré des réunions entre deux et trois fois par an avec les salariés afin de partager l’information dans les deux sens : expliquer la stratégie de la direction et avoir les remontées du personnel. Ensuite on a travaillé à partir de l’organigramme, où nous avons redéfini les fonctions stratégiques et identifié le personnel le plus adéquat pour les occuper.

Aussi, nous sommes en train de terminer notre réflexion sur l’organisation de chacune des activités de l’entreprise. Elles sont examinées individuellement par la direction avant de laisser la possibilité aux salariés volontaires de s’impliquer dans des groupes dédiés pour proposer leurs idées.

Actuellement, les travaux les plus avancés à ce sujet concernent les Ressources Humaines avec la rédaction d’un livret d’accueil pour les nouveaux salariés. Ce sont nos conducteurs qui y ont contribué en remontant les informations à inclure pour faciliter l’intégration de leurs futurs collègues.

Pensez-vous que le modèle d'organisation apprenante présenté par Mme Benhamou permette de répondre aux enjeux que vous connaissez (par exemple à la très grande instabilité actuelle, le besoin de réactivité et flexibilité... et comment ?). Quels avantages voyez-vous à ce type d'organisation et quels freins à son déploiement anticipez-vous ?

Il faut donner du sens à nos collaborateurs, c’est-à-dire leur expliquer ce que l’on veut faire et qu’en retour ils puissent nous faire part de leurs remarques et du sens qu’ils veulent donner à leur travail. Le concept d’organisations apprenantes à tout son sens à mon avis, car il permet d’impliquer les salariés dans l’évolution de leur carrière au sein de l’entreprise.

Il faut tout de même avoir des outils concrets pour pouvoir organiser des formations sur le terrain. Par exemple, nous voulions faire monter en compétences un de nos salariés avec une formation Pro-A (promotion par alternance). La complexité administrative de ce système d’aide nous a finalement empêché d’aller jusqu’au bout.  

Enfin, il y a tout un contexte qui nous fait énormément réfléchir. Avec la technologie de nos camions, on est en train de repenser complètement le métier de conducteur routier. Par exemple, les camions actuellement mis en vente ont une fonction de platooning sur autoroute accessible par un simple bouton. Que font les conducteurs quand ils sont sur l’autoroute et qu’ils n’ont pas besoin de leur vigilance pour rouler ? Ce sont des choses nouvelles que l’on va devoir prendre en compte très rapidement, et l’organisation apprenante peut nous être très utile.

 

L'avis de Salima Benhamou sur l'expérience de ces dirigeants d'entreprises

J’ai trouvé ces témoignages intéressants car les freins qui ont été soulevés par nos deux intervenants ont aussi été identifiés durant notre étude. Pour autant il est possible de poursuivre la route vers une organisation apprenante, d’autant plus qu’ils en apprécient déjà certains avantages.

Concernant l’intervention de Christophe Caset-Carricaburu, ce qui m’a frappé c’est qu’il porte l’entreprise. Il a une vision de l’entreprise qui doit évoluer et s’adapter à son environnement en tirant partie de toutes les opportunités. S’inscrire dans un système collaboratif est une caractéristique forte d’une organisation apprenante, mais c’est lui qui apprend. Or une organisation apprenante se caractérise par l’ensemble de l’organisation qui apprend.

On pourrait penser que le modèle des organisations apprenantes est réservé à des secteurs particuliers, mais dans la réalité on observe que ce modèle d’organisation est présent dans tous les secteurs d’activité et pour tous types d’emplois. Le rapport de France Stratégie montre ainsi des exemples concrets de mise en œuvre d’organisations apprenantes dans le secteur de l’aide à domicile, dont les emplois présentent à plusieurs égards des caractéristiques communes à celles de la livraison urbaine (métiers peu valorisés, peu qualifiés). Ces personnes sont en effet des capteurs de réalités sur le terrain en mesure de fournir des informations importantes pour la performance de l’entreprise, pour peu qu’elles soient sollicitées et mises en condition pour apporter cette contribution. C’est un travail continu où la participation des salariés, et leur intérêt à participer, passe par une démarche active du management et de la direction.

A propos de l’intervention de Patricia Ruiz, la RSE est un concept multidimensionnel qui passe notamment par la participation des salariés tel que cela était fait. Mais ce sont aussi des questions de gouvernance, de rapport entre les clients et les fournisseurs, de prise en compte des nouvelles règles environnementales, etc. qu’il faut prendre en compte. Il y a des passerelles entre la RSE et les organisations apprenantes. J’espère qu’à terme la dénomination d’entreprises responsables sera remplacée par celles d’organisations apprenantes, qui sont performantes socialement et économiquement. Les caractéristiques de RSE font partie des organisations apprenantes, mais elles sont plus restreintes. Ainsi, des entreprises tayloriennes ou lean management peuvent avoir des pratiques RSE avant d’éventuellement évoluer vers des organisations apprenantes.

L’impact de l’IA sur les métiers est un sujet que nous avons également étudié. Concernant le secteur du transport routier, il est probable que l’arrivée de l’IA diminue le nombre de conducteurs mais aussi que d’autres tâches se créent. Le métier évoluerait donc vers des fonctions de supervision - que ce soit la sécurité ou la maintenance prédictive des véhicules, ou encore à l’accueil des clients. D’ailleurs, certaines entreprises du secteur accompagnent déjà leurs salariés en développant ce type de tâches. Une autre solution pourrait être de catégoriser dès à présent les tâches hautement automatisables et celles qui le sont moins. Cette cartographie du métier permettrait ensuite de réfléchir aux compétences à faire évoluer et aux pratiques de formation associées.

L’AFT est impliqué dans d’autres projets européens qui s’intéressent de près aux innovations technologiques dans le transport et la logistique, et à leurs impacts sur l’emploi : FutureDRV a ainsi établi le profil métier du conducteur du futur et décrit son rôle, ainsi que les connaissances, compétences et savoir-faire qu'il aura à maitriser, en lien avec l’introduction du véhicule autonome.    

Le projet Steer to Career DRV, en cours, vise à réaliser une cartographie des passerelles professionnelles des conducteurs de véhicules de transport routier de marchandises et voyageurs, et à donner des orientations pour faciliter la reconnaissance de leurs compétences et permettre leur reconversion professionnelle.

 

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