Emploi, Innovation, Transport

Nouvelles technologies, automatisation et digitalisation dans l’aérien : quels impacts sur l’emploi et les compétences ?

Publié le

Les secteurs de l’aérien et de l’aéronautique sont particulièrement propices à l’innovation et à l’utilisation de nouvelles technologies. Le transport aérien a ainsi pris une avance significative en matière d’automatisation aussi bien à bord qu’au sol.

A travers ce dossier, nous allons analyser les évolutions qui ont traversé ce secteur ces dernières années et influencé les besoins en emplois et en compétences de cette profession. Elles préfigurent peut-être celles à l’œuvre dans le transport routier.

 

Un poste de pilotage qui s’est très largement automatisé

Le poste de pilotage d’un avion, plus communément appelé “cockpit”, est l’espace comprenant les instruments de vol qui permettent aujourd’hui au pilote et à son copilote d’accomplir leur mission. Initialement, l’équipage prenant place à bord du poste de pilotage d’un avion de transport était composé de trois personnes. Le pilote, le copilote, et le mécanicien dont le rôle était de gérer les systèmes de l’avion, aussi bien hydrauliques que pneumatiques, et de résoudre les éventuelles problèmes mécaniques.

Ce n’est qu’à partir de 1970, avec les progrès de l’électronique, que le poste de pilotage se digitalise, et que le métier de mécanicien navigant disparaît. Les instruments de vol affichent désormais des informations numériques plus fiables issues de la mesure directe de phénomènes physiques via des convertisseurs analogiques-numériques (CAN).

Cette transition a également été accélérée par l’apparition du concept de “glass cockpit” au début des années 1980, qui consiste en un réagencement du poste de pilotage avec  l’installation d’écrans face aux pilotes. L’affichage sur ces écrans est régi par des calculateurs qui sont intégrés d’une part, dans les systèmes FMS (Système de gestion de vol) qui calculent notamment la trajectoire, l’heure de passage aux différents « way points » (points de passage), l’estimation de la quantité de carburant à emporter et consommée, et d’autre part, dans les systèmes EFIS (Systèmes d'information électroniques de vol) liés au pilote automatique et qui permettent notamment l’affichage de l’altitude et de la vitesse.

Chaque pilote a désormais en face de lui deux affichages :

  • Le PFD (primary flight display), qui permet de visualiser les paramètres de vol altitude, vitesse, et cap
  • Le ND (navigation display), qui permet de visualiser les informations du plan de vol : « way points» et « legs » (segments reliant les way points).

Aujourd’hui, les écrans à cristaux liquides (LCD) deviennent la norme en matière d’affichage dans les cockpits (au détriment des écrans cathodiques). Ils donnent de la souplesse en matière de configuration dans l’affichage des écrans, facilitant le partage d’informations entre le pilote et son copilote. L’avion bénéficie également d’un gain de masse avec l’installation à bord du poste de pilotage de ces nouveaux écrans puisqu’ils sont bien plus légers que les écrans cathodiques utilisés auparavant. Le tactile commence également à faire son apparition dans le cockpit pour offrir une meilleure interactivité aux pilotes. [1]

Zoom sur le métier de pilote de ligne et sa formation

En France, l’accès à la formation de pilote de ligne se fait par un concours avec des critères d’accès au concours spécifiques, comme l’âge. Pour ceux qui ne sont pas titulaires de l’ATPL théorique (Airline Transport Pilot Licence, soit la licence européenne de pilotage d’avion), un niveau BAC+2 minimum est requis pour se présenter au concours. Celles et ceux qui sont déjà titulaires de l’ATPL sont dispensés de la première année de formation.

Les postulants à la formation par la voie classique doivent avoir entre 16 et 23 ans, et les titulaires de l’ATPL entre 17 et 28 ans.

Les concours d’entrée présentent des épreuves écrites évaluant les compétences scientifiques, mais aussi une bonne maîtrise de l’anglais, indispensable au pilote puisque tous les échanges se font aujourd’hui en anglais au sein du cockpit. Après une première sélection, les candidats doivent passer des tests psychotechniques et psychomoteurs informatisés qui ont pour but d’évaluer la capacité à suivre la formation théorique et pratique. Un test psychologique additionnel est également mené pour évaluer les compétences non techniques du candidat, notamment la capacité à travailler en équipe. Ces tests sont éliminatoires et une visite médicale de classe 1 est également obligatoire.

En cas de succès, le futur pilote entame donc une formation qui s’étale sur 2 ans. La première année est consacrée à l’apprentissage théorique, comprenant notamment une formation au droit aérien, à la navigation, à la météorologie, à l’aérodynamisme, et à la préparation d’un vol, ainsi qu’aux procédures opérationnelles. La deuxième année comporte uniquement des phases pratiques, avec une première phase d’apprentissage sur des vols VFR (Visual Flight Rules – vol à vue), puis par la suite une phase sur des vols IFR (Instrument Flight Rules – vol à l’aide d’instruments), bien plus représentative du métier de pilote de ligne.

Lorsque le pilote sort de l’école, il est apte à voler. La compagnie qui va le recruter le forme ensuite au pilotage de ses appareils, et lui délivre une qualification spécifique aux appareils concernés.

Le pilote est préparé au cours de sa formation à agir en toutes circonstances, même si actuellement les performances avancées des pilotes automatiques permettent aux pilotes de monitorer le vol durant certaines phases, et en particulier pendant la phase de croisière. En effet, un vol se décompose essentiellement en 5 phases successives : le roulage, le décollage, la croisière, l’atterrissage et une dernière phase de roulage.

Avant le décollage, le pilote et le copilote suivent ensemble une procédure normée de vérification de points de contrôle permettant de s’assurer du bon fonctionnement de l’appareil. Ils paramètrent à cette occasion le FMS.

La phase de décollage requiert encore l’attention du pilote puisqu’il agit durant celle-ci directement sur les commandes de vol pour faire décoller l’avion jusqu’à une certaine altitude. Ce n’est qu’une fois le décollage effectué sans contrainte, et une certaine altitude atteinte, que le pilote automatique est « armé » (réglé) puis « sélecté » (engagé). Avant de communiquer le plan de vol communiqué aux autorités (une heure avant le décollage), le pilote entre les données dans les FMS qui calculent alors la trajectoire à suivre. Le pilote commence alors son travail de monitoring sur les altitudes et les vitesses pour vérifier le bon déroulement du vol et peut reprendre le contrôle de l’appareil à tout moment par simple action sur les commandes de vol.

La phase d’approche et d’atterrissage est bien plus automatisée que la phase de décollage, le pilote est aidé par des systèmes lui permettant d’atterrir en cas de mauvaise visibilité par exemple. C’est le cas du système ILS (Instrument Landing System - système d'atterrissage aux instruments) qui est un système de radionavigation permettant une approche de précision même en cas de forte couverture nuageuse. Le pilote doit cependant être toujours prêt à agir lors de cette phase puisque que le pilote automatique ne permet pas encore aujourd’hui de compenser les vents violents qui sont d’une criticité extrême lors de l’atterrissage. La vigilance du pilote doit également être maximale pour prévoir une éventuelle remise de gaz. Dans cette optique, de nouvelles aides sont en permanence installées à bord afin d’alléger la charge du pilote. On peut citer notamment le développement des HUD (Head Up Display – affichage tête haute) qui sont des écrans transparents affichant directement dans le champ de vision du pilote la trajectoire à suivre lors des phases d’approche, ou encore le système ROPS (Runway Overrun Prevention System) qui est un système de prévention de sortie de piste équipant des avions Airbus.

L’automatisation très avancée pourrait donc techniquement permettre aujourd’hui la présence d’un unique pilote aux commandes de l’avion, en particulier en phase de croisière. Des raisons de sûreté empêchent néanmoins cette transition puisque l’EASA (Agence européenne de la sécurité aérienne) recommande fortement la présence permanente de deux personnes dans le cockpit, dont au moins un pilote qualifié. Ces recommandations sont suivies par de nombreuses compagnies, dont Air France – KLM, en particulier suite au crash de l’A320 de Germanwings en mars 2015. Aux Etats-Unis, la FAA (Administration Fédérale de l’Aviation aux Etats-Unis) a rendu obligatoire la présence de deux personnes dans le cockpit. [2]

De nouveaux outils qui allègent le travail des contrôleurs aériens

Le contrôle aérien est absolument vital au bon fonctionnement du trafic aérien. Il est primordial que le service soit actif de manière permanente pour éviter une quelconque défaillance aux conséquences graves sur le trafic aérien.

Les contrôleurs aériens ont de nombreux outils à leur disposition pour assurer leur mission dont les « strips » qui ont particulièrement évolué au cours des dernières décennies. Les strips sont des bandes cartonnées sur lesquelles figurent en particulier, pour chaque vol, l’indicatif qui est le numéro d’identification du vol, le terrain de départ et de destination, la route suivie ainsi que la vitesse et l’altitude. Il s'agit d'un mode de représentation du trafic aérien permettant notamment d’aider à la détection de conflits de type collision entre deux aéronefs et de déterminer la position d’un avion. 

Initialement, le strip est totalement manuscrit lors de son apparition dans les années 40. Il a ensuite évolué pour faciliter la tâche du contrôleur, avec l’utilisation de tampons encreurs permettant de limiter les erreurs et d’obtenir un gain de temps, une partie du strip n’étant plus manuscrite. Des strips de couleurs différentes font aussi leur apparition pour différencier les départs et les arrivées des avions d’un aéroport.

L’automatisation apparaît dans les années 60 avec pour objectif d’aider les contrôleurs et non de se substituer à eux. En 2015, les premiers écrans de contrôle dans un environnement électronique se déploient, permettant l’implémentation du « strip électronique ». Cette digitalisation permet au contrôleur d’anticiper une meilleure gestion du trafic et une meilleure régularité des vols. [3]

Les compétences du contrôleur aérien ont particulièrement évolué au fil des années, puisque sa charge de travail a été grandement allégée par l’utilisation de nouvelles technologies, lui permettant d’être plus efficace, et de monitorer plus d’avions qu’auparavant. L’utilisation de ces nouvelles technologies était indispensable pour répondre à la demande croissante du trafic aérien.

 

Le développement de la modularisation dans la construction aéronautique

L’industrie aéronautique a innové ces dernières années, en particulier avec la mise en place d’une construction modulaire des appareils, qui consiste à décomposer la production de l’avion en différents modules principaux. 

Cette méthode de production permet en particulier aux avionneurs d’offrir une gamme plus importante de produits. Par exemple Airbus réutilise les mêmes modules avioniques sur les chaines de production de ses A320 et de ses A330, deux familles d’avions différentes. 

La modularité mise en place permet de développer différentes versions d’un même avion afin de répondre aux besoins du marché. A cet égard, la famille A320 d’Airbus compte par exemple plus d’une dizaine de versions.

La modularité permet un gain de productivité, tout en rendant possible l’évolution des modules d’une famille d’avions, ce qui favorise l’innovation dans la production des aéronefs. 

Les constructeurs tendent par ailleurs à harmoniser le poste de pilotage de leurs avions pour réduire le temps de qualification des pilotes ayant déjà volé sur un des avions de ce même constructeur.

En plus d’avoir recours à une main d’œuvre très qualifiée, les chaînes de production des avions mobilisent diverses compétences qui ne relèvent plus seulement de l’avionneur. En effet, la complexité technologique d’un avion, et la mise en place de cette modularité, ont pour conséquence la délégation de compétences par l’avionneur à ses partenaires, en particulier pour toutes les compétences liées aux systèmes extérieurs à la structure de l’avion. L’avionneur devient alors seulement responsable de l’architecture et de l’intégration des différents modules. [4]

 

Une maintenance préventive qui s’appuie sur des plateformes web

La maintenance des avions s’est fortement modifiée, avec l’apparition d’une maintenance préventive rendue possible par l’apparition de certaines technologies de collecte de données. Des plateformes de services dans le cloud, qui récupèrent les données des avions, sont ainsi aujourd’hui opérationnelles pour fournir des services de maintenance prédictive. C’est le cas de Skywise, la plateforme de données ouvertes d’Airbus, qui permet d’optimiser et d’alléger la charge de travail, de partager les informations, d’éviter une interruption opérationnelle d’un avion, et donc de réduire les coûts liés à son immobilisation. De manière plus générale, l’automatisation dans la maintenance de l’industrie aéronautique permet surtout d’augmenter la sécurité, la productivité et de réduire l’effort humain. [5]

 

La pandémie Covid-19 accélère la transformation des aéroports

Le service de passage aéroportuaire, qui regroupe les activités liées à l’enregistrement et au guidage des passagers, est actuellement en pleine automatisation au niveau mondial. En effet, l’apparition de cartes d’embarquement électroniques et de bornes d’enregistrement automatiques modifie les processus de « check in » (enregistrement) et de « boarding » (embarquement). Ces tâches, auparavant accomplies par le personnel au sol des compagnies aériennes, sont désormais à la charge directe du passager, même si de nouveaux métiers pour les assister font leur apparition. [6]

Il est à noter que cette transformation dans les aéroports a également été accélérée par la pandémie de la COVID-19. La digitalisation et les automates sont privilégiés pour limiter la présence humaine et les contacts sociaux, et ainsi la propagation du virus au sein de l’aéroport. Dans le même temps, les systèmes de reconnaissance faciale, de vérification de bagages et de fouilles à distance se développent. Cette automatisation permet par ailleurs une fluidification des flux passagers en diminuant le temps de passage.

 

Conclusion :

La filière aéronautique a encouragé fortement le développement et l’intégration de nouvelles technologies. L’automatisation à l’œuvre ces dernières décennies, et qui se poursuit, fait évoluer de nombreux postes de manière durable au sein de ce secteur. Ces changements entraînent une mutation des tâches nécessaires au bon déroulement du trafic aérien depuis les débuts de l’aviation commerciale. Cependant, des contraintes spécifiques au transport aérien, comme la sécurité et la sûreté, empêchent encore l’automatisation totale et requièrent la présence humaine à bord.

 


Source :

[1] https://www.thalesgroup.com/fr/global/activities/aerospace/flight-deck-avionics-equipment-functions/flight-deck/en-savoir-plus-sur

[2] https://www.liberation.fr/futurs/2015/03/30/les-compagnies-ou-pays-qui-imposent-deux-personnes-dans-le-cockpit_1231465/

[3] https://www.giacre.com/52+le-strip-au-fil-des-decennies-du-papier-a-lecran.html?version=computer

[4] https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2009-3-page-135.htm?contenu=article

[5] https://www.entreprises-occitanie.com/skywise-exploitee-par-une-centaine-de-compagnies-et-9-000-avions-en-operation

[6] https://www.prologia.fr/vers-une-automatisation-du-service-de-passage-aeroportuaire-quelles-consequences-organisationnelles/

Informations annexes au site