Environnement et Développement Durable, Logistique, Mobilité

Fit for 55, quelle marge de manœuvre pour la logistique ?

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55% de réduction des émissions carbone pour l'ensemble de l'économie européenne à l'horizon 2050. Un objectif ambitieux et qui nécessite des changements en profondeurs pour de nombreux aspects de notre économie. Qu'il s'agisse de l'industrie, des transports, de l'immobilier... les pistes d'amélioration sont nombreuses et dans le même temps complexes puisqu'il s'agit de revoir des pratiques et organisations en place depuis parfois plusieurs décennies. Quel est le rôle de la logistique dans ce cadre et comment les professionnels du secteur accompagnent-ils ces efforts d'optimisation des ressources, autant que des émissions de gaz à effet de serre ?

      1. Contexte

En janvier 2020, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a annoncé la mise en place d’un « Green Deal » européen d’un budget de 1 000 Md€ sur toute la décennie. Un projet particulièrement ambitieux pour lutter contre le dérèglement climatique et faire de l’Union Européenne (UE) un continent porteur et exemplaire pour faire levier sur l’économie mondiale dans la prise en compte du climat dans nos activités du quotidien.

Des actions longues et difficiles à porter, mais qui envisagent notamment de transformer la banque centrale européenne en « banque du climat », et d’accompagner ce plan d’une législation sur le climat permettant de faire du « Green Deal » une obligation juridique pour toute l’Europe.

En France, c’est le plan de relance de septembre 2020 (près de 30 Md€ sur la partie de la transition écologique) qui formalise en partie cette ambition. Le secteur du transport doit notamment bénéficier de 11 milliards de ce plan en matière de conversion énergétique.

En juillet 2021, c’est une série complémentaire de propositions de textes qui est émise par la Commission européenne afin de renforcer l’application de ce plan au niveau européen, et surtout d’en contraindre tous les secteurs à se repenser. Notamment le secteur des transports, deuxième secteur le plus polluant d’Europe, après la production d’électricité et seul domaine à avoir augmenté régulièrement lorsque tous les autres ont diminué leurs émissions carbone depuis les années 90.

 

      2. Synthèse AFT

Le plan « Fit for 55 » correspond à une volonté de réduire d’au moins 55% les émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble des activités de l’UE d’ici 2030, avant d’atteindre un « net zéro » à l’horizon 2050. Cela signifie que dans tous les secteurs d’activités des efforts doivent être faits pour repenser l’activité ou exploiter des sources alternatives d’énergie, moins impactantes sur l’environnement, afin de réduire son empreinte.

Le projet est d’autant plus complexe que tous les secteurs sont étroitement connectés les uns aux autres

...notamment les secteurs transport et immobilier, et que les marchés ont une fâcheuse tendance à se déplacer à l’étranger dès lors que la règlementation devient trop contraignante sur le vieux continent.

C’est une des raisons pour lesquelles on parle désormais beaucoup du « scope 3 » du bilan carbone, qui tient compte de toutes les externalités de l’activité d’une entreprise (notamment toutes ses opérations de transport amont et aval), et que les taxes aux frontières européennes doivent être soigneusement mises en place pour protéger les intérêts économiques de l’Europe sans mettre en péril les relations politiques internationales.

Parmi les propositions principales de renforcement du projet, il y a tout d’abord une accentuation des objectifs de réduction de l’empreinte carbone dans la plupart des secteurs d’activité. Il y a également une volonté d’action plus marquée sur 4 grands domaines particulièrement impactants pour l’environnement et dont chaque état européen va recevoir des objectifs nationaux obligatoires : Transports - Immobilier - Agriculture - Gestion des déchets.

Des commissions ont été mises en place pour établir ces objectifs et collecter les avis de chacun, tous secteurs confondus, avant d’établir des arbitrages et des compromis qui doivent cependant être bousculés par les impératifs environnementaux. On estime à près de 900 000 le nombre d’entreprises de transport en Europe, pour environ 35 millions de véhicules dont 9 sont des poids lourds. Les sources d’énergie sont très variées, les infrastructures nécessaires à leur avitaillement sont également coûteuses et longues à construire, ce qui nécessite un certain temps de recherche et développement notamment pour les grands groupes.

Pour le secteur des transports, cela signifie donc des actions très ciblées et spécifiques pour accélérer la transformation sectorielle tout en sécurisant les activités économiques de l’UE :

  • Pour toute l’industrie de construction automobile, les véhicules particuliers et utilitaires légers ont un objectif d’émissions 0g/km d’ici à 2025
  • Les carburants fortement émetteurs en carbone seront taxés de mainère importante dans les années à venir, notamment pour l’aviation et le maritime
  • De nouvelles infrastructures doivent être massivement construites et déployées pour les carburants alternatifs
  • Un fonds social pour le climat devrait également être envisagé pour minimiser l’impact sur les entreprises et personnes les plus vulnérables
  • Un système de quotas distinct et spécifique au transport devrait voir le jour à partir de 2026, avec une réduction progressive de son usage pour la fin des quotas gratuits à partir de 2036
  • Un règlement sur la répartition de l’effort sera appliqué aux états membres, donc une série de mesures spécifiques nationales est à prévoir.

A cela s’ajoutent tous les effets rebonds de certaines mesures telles que la taxe carbone aux frontières européennes, pour dissuader la délocalisation des activités, ou la suppression du crédit ZLEV (Zero and Low Emissions Vehicles – Véhicules à zéro et faible émissions) car inefficace dans la méthode de calcul pour inciter les constructeurs à accélérer la transition vers des véhicules à la fois électriques et au rendement le plus efficace possible.

Pour les opérateurs de transport ou logistique, cela signifie donc que les mois à venir devraient donner lieu à un certain nombre de mesures, politiques, règlementaires et d’investissement, relativement concrètes pour savoir vers où s’engager pour une conversion efficace notamment de motorisation.

 

      3. Perspectives pour la logistique

Pour les acteurs du transport et de la logistique en France, les effets du dérèglement climatique ont déjà commencé à affecter la performance et la compétitivité du secteur, ne serait-ce que dans l’évolution des attentes par les donneurs d’ordre au niveau des cahiers des charges. Les critères ESG (Environnementaux Sociaux et Gouvernance) ont déjà été imposés aux grands groupes européens pour les contraindre à investir dans des solutions et prestations plus vertueuses.

Mais l’évolution du plan européen, couplé aux actions gouvernementales, va donc inciter les pouvoirs publics à une accélération de la transformation des infrastructures et équipements mis à disposition du secteur. Cela devrait notamment faire passer la production de nouveaux véhicules à une échelle industrielle plus marquée, des coûts d’acquisition moindre tout en bénéficiant d’aides à l’investissement plus efficaces.

Avec une vision harmonisée européenne, on devrait pouvoir espérer une meilleure rationalisation des efforts de recherche et développement pour que la diversification des énergies alternatives bénéficie tout de même de solutions d’avitaillement efficaces, avec un maillage territorial pertinent pour tous les acteurs, y compris transfrontaliers.

Bien sûr, les délais restent relativement longs et les décisions prises à l’échelle nationale sur des temporalités différentes, avec des contraintes règlementaires plus ou moins efficaces. Le risque majeur dans cette période de transition reste encore le facteur humain, puisque les effectifs de la conduite demeurent encore difficiles à couvrir pour l’ensemble des besoins et que le marché est toujours très compétitif avec une variable d’ajustement des prix critique dans la période d’inflation importante qui s’installe pour un certain temps.

Les réseaux partenaires et la fidélisation contractuelle des donneurs d’ordre, avec une qualité de service garantie au rendez-vous, devraient être déterminants dans les mois et années à venir pour que tous ces efforts du secteur soient accompagnés au mieux par l’ensemble des acteurs de chaque chaîne d’approvisionnement, en particulier la solidarité des entreprises sur le territoire national ou régional. Sans compter que les nouveaux usages logistiques urbains redistribuent également les cartes sur les opportunités d’emploi, les conditions d’exercice et les moyens mis à disposition des acteurs pour protéger leurs salariés.

Le temps que l’ensemble de ces règlementations se mettent en place de façon harmonisée sur toute l’Europe et auprès de toutes les tailles d’entreprises, il s’agira pour les acteurs du transport et de la logistique de s’appuyer sur toutes les aides possibles et un timing optimal de transition de leur activité afin de sécuriser économiquement et socialement leur modèle. Mais, comme toujours, n’est-ce pas le cœur même d’activité du secteur : l’adaptabilité ?

 

Définitions

Green Deal (« Pacte Vert ») : ensemble d'initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but de rendre l'Europe climatiquement neutre en matière d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050.

Net zéro : neutralité carbone dans un périmètre donné ; il s’agit d’un état d'équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine et leur retrait de l'atmosphère par toute action proportionnée.

Bilan Carbone : outil de comptabilisation de ses émissions de gaz à effet de serre. Il tient compte de l'énergie primaire et de l'énergie finale des produits et services fournis par une entreprise ou association.

Scope 3 : périmètre le plus large de calcul des émissions de gaz à effet de serre, qui ne sont pas inclues dans les scope 1 et 2 car rattachées à tous les usages indirects de l’activité (achats, transports, immobilisations, déchets, etc.)

 

Sources

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