Logistique, Nouvelle économie, Prospective et innovation, Transport

Le défi modal du dernier kilomètre

Publié le

Le gouvernement français a mis sur la table un budget massif pour investir sur le ferroviaire mais également l'intermodalité, en vue d'améliorer (réduire) l'empreinte carbone des transports, tant pour les personnes que les marchandises. Mais derrière les montants il y a toute une organisation et des synergies entre les acteurs à repenser. Entre gains et efficience d'un côté ou suppression et transformation de l'autre ; comment les professionnels de la logistique du dernier kilomètre s'inscrivent-ils dans cet objectif d'intermodalité ?

      1. Contexte

Il serait possible d’en faire une thèse, tant les modalités de la mobilité évoluent en milieu urbain et sur le dernier kilomètre de manière générale ces dernières années. Mais regardons de plus près les spécificités di transport routier de marchandises, à l’heure où la décarbonation se lit sur toutes les lèvres et que les agglomérations se préoccupent de plus en plus de leur plan logistique urbain (PLU). L’AFT vous propose également d’appréhender ce dernier kilomètre dans tous ses contextes, qu’il s’agisse d’une grande agglomération ou une petite ville, à la campagne.

Nous avons tous en tête le transport de marchandises dit traditionnel, routier et via porteur ou poids-lourd. Mais d’autres solutions historiques existent et ont toujours été présentes dans le paysage des opérations de fret, même sur des parts de marché extrêmement réduites ces dernières décennies, telles que le ferroviaire, le fluvial, ou la cyclo logistique. A cela viennent s’ajouter les nouvelles technologies pour améliorer les performances et capacités de certains modes, voire créer de nouveaux modes de transport, tels que les drones, envisagés par les grands groupes internationaux.

 

      2. Synthèse AFT

      La logistique du dernier kilomètre

Il faut la définir pour se mettre d’accord sur les modalités qui la rendent compétitive ou non. Il s’agit des derniers kilomètres que vont parcourir les marchandises avant d’atteindre le consommateur final, à partir du dernier point de préparation des produits (en général un entrepôt de prépositionnement périurbain). Il peut donc s’agir de la livraison à un point de vente traditionnel (magasin, supermarché, kiosque, etc), la dépose dans un point relais ou la remise en main propre à domicile.

 

      Pourquoi est-elle stratégique ?

Parce qu’elle représente environ 25% de l’empreinte environnementale de la chaîne d’approvisionnement et 53% des coûts d’acheminement jusqu’au client final[1]. C’est aussi le point de rencontre entre le consommateur et son produit, donc l’évaluation de l’image de marque d’une entreprise au détour du service rendu. Quel que soit le mode de transport choisi et les modalités, il s’agit donc de répondre le plus efficacement possible à la demande et les exigences grandissantes du marché.

      Quels sont les facteurs de compétitivité ?

Il était commun de faire référence au prix jusqu’à présent, et cela le restera forcément dans les années à venir, avec une inflation forte et des enjeux macroéconomiques très présents sur la scène internationale… Mais il faut inclure depuis quelques années la présence de plus en plus marquée d’autres paramètres dans les choix de consommation et de satisfaction client :

  • Le délai de mise à disposition :

Le service de livraison est devenu très compétitif, avec une capacité de livraisons sous 48h de n’importe quel produit à peu près partout en France, sous l’influence de la politique d’expansion d’Amazon. Ce service a d’ailleurs permis l’expansion de nouveaux produits issus de la fast fashion par exemple.

  • L’impact environnemental :

Avec le dérèglement climatique, les citoyens sont de plus en plus nombreux à se questionner sur l’empreinte environnementale des produits qu’ils achètent, mais également des modalités de livraison. Même s’il est difficile de suivre et évaluer l’ensemble des facteurs (production, distribution, transport), toute proposition vertueuse influence le choix, et les contraintes règlementaires ne vont faire que se renforcer dans ce sens dans les années à venir.

  • Les valeurs éthiques de la Marque :

Le fort développement du numérique a également permis une large distribution des connaissances et une meilleure compréhension de l’ensemble de notre société, des chaînes d’approvisionnement… et des conditions de fabrication ou de transport des produits que nous consommons.

      L’action des donneurs d’ordre

On parle principalement du secteur privé ; à savoir ces grandes marques qui définissent leur stratégie de distribution et de déploiement des produits, les canaux par lesquels atteindre le consommateur final et la fixation du prix de vente. Ces derniers ont à leur disposition une palette conséquente d’options pour la conception et livraison des produits, grâce à la mondialisation, mais les nouveaux paramètres évoqués ci-dessus imposent de revoir toute la stratégie de la chaîne d’approvisionnement. Pour autant, l’aspect le plus visible des consommateurs reste le dernier kilomètre, d’où le besoin de connaître tous les acteurs, leurs forces et faiblesses pour à la fois préserver ses parts de marché mais aussi ses coûts d’acheminement.

 

      Les alternatives du fret

Les infrastructures sont déterminantes pour la mise en place d’une solution de distribution sur le dernier kilomètre. Cependant, bien que chacun des modes de transport soit contraint par les règles de son environnement, les frais d’utilisation ne sont pas exactement les mêmes puisque tous les modes terrestre par exemple sont partagés avec les usagers de la mobilité de personnes.

  • Les modes massifiés

Lorsque l’on pense au dernier kilomètre, on pense à l’unité logistique la plus petite, à savoir le colis, voire la palette complète selon le destinataire. Par conséquent les modes dits « massifiés » tels que le ferroviaire (train ou tramway) ou le fluvial ne sont pas naturellement envisagés. Pourtant, ils offrent des coûts de fonctionnement très compétitifs et pour de nombreuses agglomérations, permettent un accès au cœur même des villes, à proximité de nombreux consommateurs. Certains armateurs fluviaux proposent également des solutions mobiles d’entreposage, combinées à de la cyclo logistique ou des petits véhicules permettant de réaliser des tournées de livraison rapide à chaque point d’étape et depuis les quais.

Pour le ferroviaire, la compétitivité reste encore fortement corrélée aux décisions politiques car les tronçons de circulation sont partagés avec la mobilité des personnes, qui prime sur les flux de fret. Alors que l’innovation est souvent la clef d’une compétitivité logistique, celle-ci est particulièrement dépendante de l’acceptation de tous pour le ferroviaire en France, tandis qu’en parallèle la pénurie de personnels et la hausse des prix de l’énergie met déjà en tension le transport de personnes.

  • Les modes agiles

Pour les autres types de transport, le développement s’accélère autour de la cyclo logistique en particulier, grâce d’un côté à une règlementation grandissante autour de Zones à Faibles Emissions (ZFE) mais aussi le développement technologique des motorisations avec assistance électrique, permettant de réduire l’effort tout en permettant une mobilité très comparable aux véhicules traditionnels. Certaines études mettent même en avant une livraison 60% plus rapide à vélo qu’en camion, en raison des fortes congestions qu’ils peuvent contourner plus facilement, notamment dans les grandes agglomérations, où la vitesse moyenne de circulation tourne autour de 30 Km/h[2].

En revanche, leur capacité reste très limitée en matière de volume comme de poids, ce qui démultiplie le nombre de véhicules en milieu urbain et peut contribuer à la congestion des axes de circulation. Les consommateurs vont devoir progressivement se positionner entre impact environnemental, usages de leur propre mobilité et attentes de service.

Côté transporteurs traditionnels, la motorisation évolue vers de nouveaux types de carburants, moins polluants, mais aussi une motorisation électrique, dont l’industrialisation peine à décoller, faute à des coûts très élevés de conception et vente, une offre restreinte et une autonomie encore insuffisante pour les besoins des professionnels.

  • Les nouvelles technologies

Dernier potentiel de distribution : l’innovation. Elles existent à différents endroits du monde, dans des contextes pas toujours transposables au cadre légal ou social français, mais peuvent faire l’objet d’étude dans les années à venir. Elles pourraient compenser la pénurie de personnel ou accélérer la conversion énergétique, sous réserve que la mise à l’échelle soit au rendez-vous de la demande actuelle de consommation.

On y fait allusion aux livraisons par drone, la création de lignes ferroviaires de fret souterrain, via métro ou tramways dédiés à la marchandise. Le dirigeable est également plus écologique, mais nécessite des infrastructures spécifiques et un cadre règlementaire qui doit être renforcé, comme celui de l’espace aérien.

  • Les nouveaux modèles de distribution

Autre approche de l’optimisation des flux et de l’efficience énergétique : utiliser la maîtrise exponentielle des données pour repenser l’organisation des opérateurs de fret. Coupler les opérations de fret avec les axes existants de la mobilité des personnes, ou combiner les capacités de différents transporteurs qui effectuent des tournées sur des zones de proximité afin d’optimiser toujours davantage le plan de charge et l’utilisation des ressources disponibles, tout en réduisant l’impact environnemental, le coût énergétique, etc.

On parle également des nouveaux modes de distribution dans lesquels les citoyens / consommateurs deviennent des modes de transport complémentaires pour acheminer des produits avec eux à l’attention de voisins, sur leur parcours, etc. Moyennant rétribution, cela peut également représenter des économies de transport et de coûts de fonctionnement répondant aux critères exprimés plus haut en termes de valeurs et d’impact environnemental.

 

      3. Perspectives pour la logistique

Il est évidemment complexe de déterminer le potentiel de tous les transports alternatifs au routier sur le dernier kilomètre. La problématique ne réside pas seulement dans l’impact environnemental mais la capacité à servir des volumes toujours très conséquents, à exploiter des circuits de distribution alternatifs, développer un réseau d’avitaillement performant pour les énergies alternatives, etc.

Dans l’ensemble, malgré une forte progression de la cyclo logistique sur les dernières années, il s’agit d’un effort collectif de tous les modes, mais aussi des modèles d’organisation logistiques, pour être à la fois plus efficient et décarboné. Cela passe par une industrialisation des nouvelles énergies bas-carbone et l’électrification des poids-lourds. C’est aussi une meilleure connaissance de tous les modes alternatifs vers lesquels les chargeurs doivent se diriger car une prise de contact, une meilleure connaissance du modèle économique et des capacités de livraison pourrait bien surprendre un grand nombre de chargeurs.

Quel que soit le mode, massifié ou agile, technologique ou historique, il ne s’agit que de mettre en perspective les critères de performance recherchés. Si le critère des délais de livraison est un enjeu, alors ce n’est pas le mode de transport mais bien le pré-positionnement qui devient un axe stratégique de distribution. S’il s’agit des volumes, c’est le modèle organisationnel et la présence d’un réseau dense de points de dépôt ou vente qui peut constituer une alternative à la démultiplication des flux.

Quel que soit le mode, massifié ou agile, technologique ou historique, il ne s’agit que de mettre en perspective les critères de performance recherchés.

Cependant, cela reste loin d’être simple pour les professionnels du secteur puisqu’il leur faut jongler avec des contraintes de plus en plus marquées (ZFE, critères ESG, etc) qui évoluent rapidement dans la règlementation nationale et locale, une offre industrielle des transports qui a encore du mal à suivre la demande pour transformer le parc, et un accès à l’immobilier logistique qui reste difficile à débloquer à proximité des grandes agglomérations.

Ce qui reste certain, à la consolidation de ces différentes sources d’information, c’est que l’on ne parle pas d’une mise en compétition des modes entre eux mais bien d’une combinaison sur l’offre globale, dans laquelle il va falloir redistribuer les volumes actuels sur un mode carboné, vers une palette de solutions alternatives… De beaux projets en perspective pour les experts du secteur !

 

Sources


[1] Source : Big Blue, “Le dernier kilomètre : un véritable défi pour la logistique verte”, 2021

[2] 22,8 km/h à Paris selon l’application Coyote, depuis la mise en place de la limitation à 30 km/h.

Informations annexes au site