Logistique

Le défi logistique des vaccins de la covid-19

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Deux ans après le début de la crise covid-19...peut-on faire le point sur l'efficacité de la chaîne logistique ?

Avec le recul, comment ont opéré les acteurs logistiques pour l'acheminement des vaccins ? Les discours employés par les politiques et média concernant les "difficultés logistiques" étaient-ils justifiés ?

Sans vouloir remettre autour de la table un débat suscitant des tensions en famille, l'AFT vous propose de reprendre un certain nombre d'articles et de chiffres partagés par les professionnels du secteur pour analyser tout ce qui a pu être fait et où se sont retrouvées les tensions de cette chaîne d'approvisionnement si particulière au tout début de la crise covid...

      1. Contexte

L’épidémie liée au virus covid-19 affecte la santé et l’économie mondiale depuis plus de deux ans déjà. Et au fil de son évolution ont été soulevés plusieurs problématiques pour la maîtriser :

  • Faire appliquer les gestes barrières et fournir la population en masques de protection,
  • Mettre en place des campagnes de test massives pour identifier où se propage le virus,
  • Mettre à disposition du plus grand nombre les vaccins très récemment conçus par les laboratoires.

Pour chaque étape des choix ont été faits par le gouvernement, appuyé d’un Conseil Scientifique et avec les informations disponibles sur le moment. Les critiques quant à l’efficacité des décisions prises sont nombreuses mais souvent formulées avec de nouvelles informations disponibles, et pas forcément sur les aspects auxquels on pourrait s’attendre.

Ainsi, pour le retard de mise à disposition des masques c’est la stratégie de communication et l’utilité ou non des masques qui a été questionnée. Pour la campagne de tests, il y avait une problématique de production et de disponibilité des principes actifs permettant de réaliser ces tests en large quantité. Enfin, il a été évoqué une problématique logistique pour la distribution des vaccins.

Mais cette « logistique » était-elle vraiment au cœur des difficultés rencontrées par la France en comparaison des pays voisins pour la mise en place de sa campagne de vaccination ?

      2. Synthèse AFT

Dès lors que l’on mentionne les chiffres au sujet des doses de vaccins, cela donne le tournis. Plusieurs commandes de dizaines de millions de doses passées à différents laboratoires internationaux par la France, et ce dès la toute première génération de vaccin, sans compter les besoins des doses suivantes.

Mais ce qui n’est pas mis en perspective, c’est que d’une part ces quantités ne seront pas toutes livrées en une seule fois par les laboratoires, et que d’autre part, les vaccins occupent une place très limitée dans leurs conditionnements. Enfin, qu’il subsiste une inconnue sur le nombre de personnes qui souhaiteront effectivement se faire vacciner et qu’à l'époque de la toute première commande, le nombre de doses achetées était insuffisant pour couvrir les 67 millions de Français.

Ce qui confirme cette mise en perspective c’est que les chiffres n'ont jamais vraiment impressionné les acteurs de la logistique. En effet les capacités des acteurs du transport et de la logistique semblent suffisamment dimensionnées, que ce soit via le réseau d’entrepôts spécialisés, la disponibilité de véhicules, le respect des délais pour livrer ces quantités dans un laps de temps très court sur tout le territoire, et ce malgré toutes les contraintes apportées par les vaccins.

Ce qui a semblé manquer cependant, et créé cette impression de limitations ou de retard de la France en termes de capacités logistiques, c’est une stratégie claire et coordonnée avec les très nombreux acteurs à impliquer, à commencer par les points de vaccinations.

En effet plusieurs canaux de distribution sont évoqués, dont des établissements non spécialisés pour recevoir des vaccins à maintenir sous conditions de température très basse. Il existe pourtant un réseau dédié au pharmaceutique/médical (Agences Régionales de Santé, hôpitaux et médecine de ville, etc.), déjà habilité à gérer les grandes campagnes de vaccinations, mais qui n’a pas été mobilisé selon les protocoles en place à cause des conditions de crise dans lesquelles se déroule cet exercice. Cela s’explique par une pression évidente sur le gouvernement, générée par la forte corrélation de la crise sanitaire avec la crise économique.

Enfin, sur le plan politique encore, il y a un historique en France (pays de l’institut Pasteur et des premiers vaccins) de défiance des citoyens dans les autorités de santé à cause de scandales passés : du sang contaminé (période sida) jusqu’au Médiator. Il fallait donc à la fois convaincre la population de l’importance de cette campagne pour protéger les plus fragiles et relancer l’économie, mais rassurer surtout sur la fiabilité de vaccins. Ces derniers ayant été produits dans des délais bien inférieurs à d’habitude et en parallèle de la découverte de nouveaux « variants » (mutations du vaccin).

Les enjeux qu'a rencontrés la France n'étaient donc pas d’ordre logistique à proprement parler, malgré quelques petits incidents comme le ralentissement sur quelques jours de la production du laboratoire Pfizer (déjà réglés), mais plutôt :

  • D’une stratégie « pragmatique » pour la mise en œuvre
  • De coordination et d’écoute de tous les acteurs

Cependant, les conséquences de ces deux enjeux ont un impact fort sur la logistique et ont généré d’autres types de problématiques :

  • Eviter les pertes de vaccins
  • Maîtriser au mieux les surcoûts d’une distribution à la carte
  • Assurer une traçabilité exemplaire et sécurisée des doses

Lorsque les membres du gouvernement ou le président du Conseil Scientifique, qui ont mis en place la stratégie de vaccination, indiquaient qu’il y aurait des retards logistiques, c’est donc avant tout qu’ils reportaient sur ces acteurs les défaillances des choix stratégiques posés en amont. On peut raisonnablement penser que le terme « logistique » est utilisé à mauvais escient, pour traduire ces conséquences, tandis que les protagonistes concernés apportent autant de solutions que nécessaires pour pallier ces difficultés.

Il n’y avait donc pas de campagne de vaccination simple, accessible à tous et garantie à la fin du premier trimestre 2021, mais tous les acteurs logistiques de la distribution de ce vaccin assurent que l’intégralité des doses disponibles ont été remises aux personnes identifiées par le plan de vaccination volontaire avec le moins de pertes possible et dans les délais demandés.

      3. Les spécificités logistiques

Pour détailler tout de même les contraintes logistiques de ce vaccin, voici quelques points majeurs qui expliquent les difficultés des autorités ou des acteurs mobilisés à comprendre l’organisation des spécialistes de la vaccination.

          3 conditions de transport différentes pour les vaccins

Il existe 3 types de situations pour les vaccins qu’il a fallu distribuer en l'espace de quelques semaines et à chaque nouvelle génération désormais de vaccin pour faire face aux besoins énormes de la France :

  • Un transport « classique » pour les vaccins que l’on peut maintenir entre +2°C et +8°C, déjà bien connue des acteurs spécialisés,
  • Un transport spécialisé de santé pour les vaccins plus thermosensibles et qui ne doivent pas passer au-dessus de 0°C, notamment pour les vaccins annoncés à maintenir aux alentours de -20°C,
  • Un transport de très basse température, pour la version du vaccin Pfizer qu’il faut maintenir entre -70°C et -80°C, soit à l’aide de la cryogénie.

Techniquement, des solutions existent déjà pour la partie transport. Mais pour la logistique, c’est la garantie de ces conditions, depuis la mise en conditionnement chez le laboratoire jusqu’à la livraison sur les points de vaccination, qui sera la clef.

Il faut donc assurer que des contenants frigorifiques adaptés soient achetés et positionnés sur tous les points identifiés pour les circuits de distribution des vaccins. Et pour éviter d’acheter à perte, rentabiliser ces achats très coûteux, s’assurer que les relais de distribution identifiés soient régionalisés, à bonne distance des points finaux de distribution où seront administrés les vaccins. A ce stade cela reste relativement maîtrisé puisqu’il s’agit soit d’hôpitaux, soit d’entrepôts spécialisés par des acteurs de la chaîne du froid pharmaceutique.

                      a) Un conditionnement distinct par laboratoire

Une autre contrainte majeure pour les acteurs logistiques, en ce qui concerne les pertes potentielles et les gaspillages, ce sont les unités de contenance du vaccin. Les quantités varient d’un laboratoire à un autre puisque Pfizer propose des contenants pour 5 doses, tandis que Moderna les conditionne par 10 doses. C’est ce qui explique la livraison au compte-goutte sur différents centres de vaccination ; les autorités souhaitaient optimiser l’administration des doses à la population. Il fallait ainsi avoir des multiples de 5 ou 10 pour « passer la commande » aux relais de distribution des vaccins.

Pour la logistique de gestion de ces commandes, alors que des quantités importantes sont disponibles en stock, cela revient à gérer les points de vaccination comme le réseau de distribution des pharmacies, à J+1. Au lieu de livrer chaque site en une fois, il faut prévoir des allers-retours au quotidien dans les semaines à venir pour être au plus près des calculs de vaccination et des capacités de chaque site.

                      b) De nouveaux acteurs mobilisés

Le rôle des plateformes sollicitées (Doctolib, Maiia et KelDoc) pour l’enregistrement des volontaires à la vaccination est essentiel, puisqu’il permet de s’assurer que les personnes qui prennent rendez-vous sont compatibles avec les instructions du gouvernement (âge, période et lieu de vaccination). Ces acteurs ont la responsabilité de calculer combien de personnes seront reçues sur chaque site, en fonction des capacités de ceux-ci à vacciner en une journée.

Une fois ouvertes, les doses sorties de leur contenant frigorifié n’auront une durée d’efficacité vaccinale que de quelques heures. Il n’est donc pas possible, sans contenant de capacité suffisante sur place, de stocker des quantités de plusieurs jours sur toute la France, au risque de pertes élevées.

Or, ces 3 plateformes utilisent leurs propres outils informatiques et ne sont pas des partenaires « classiques » des acteurs logistiques. Il leur faut donc communiquer de façon harmonisée leurs informations, via un support exploitable pour ceux qui seront en charge de livrer les vaccins.

                      c) Des vaccins en deux temps

Enfin, le dernier paramètre qui peut expliquer les délais de mise en place d’une vaccination à grande échelle est la nécessité d’une prise en deux fois pour que les vaccins soient pleinement efficaces (>90% de résistance au virus avec la seconde dose).

Or, en tenant compte des capacités des sites à vacciner mais également de leur incapacité à stocker, cela revient à faire revenir les mêmes personnes, ainsi que des camions au quotidien, pour ces 2nds rounds. Pendant ce temps et faute d’avoir augmenté la capacité des personnels à vacciner de nouvelles personnes, il n’y avait potentiellement aucune nouvelle personne vaccinée pendant 15 jours.

Tandis que les flux de vaccins se poursuivaient, les chiffres de « nouveaux vaccinés » évoluaient par plateaux progressifs et non de façon linéaire, mais pour cela ce n'était plus les logisticiens mais à nouveau les personnels soignants qui étaient mobilisés pour trouver des solutions.

 

Note :

N’est pas abordé ici l’enjeu de sécurité du transport et stockage des vaccins, qui implique cependant une organisation dans le secret des frets, une sécurisation militarisée des sites et une maîtrise totale des informations concernant les distributions. Tous ces facteurs mobilisent des personnes (forces de l’ordre, armée, etc.) et ont un coût également, tant pour l’Etat que les opérateurs logistiques.

 

Définitions et concepts

Supply Chain est un terme qui désigne l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement, qui vont contribuer à la mise à disposition des produits au consommateur/patient final depuis les fournisseurs de matière première. Le secteur industriel y est généralement le maillon le plus important en termes d’orientations stratégiques, pour les caractéristiques de ses produits, la volumétrie et la gamme produits qui sera distribuée via les autres acteurs.

J+1 est un terme couramment employé dans la logistique pour indiquer qu’une livraison sera assurée dès le lendemain.

La cryogénie est l'étude et la production des basses températures (au-delà de −150 °C) dans le but de comprendre les phénomènes physiques qui s'y manifestent. La limite de −153,15 °C représente la limite à partir de laquelle les gaz de l'air se liquéfient. La cryogénie possède de très nombreuses applications notamment dans les secteurs alimentaire, médical, industriel, physique et de l'élevage.

 

Sources

Différents articles issus de la presse numérique française :

Articles proposés par la presse spécialisée :

Entretien vidéo avec Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique :

Informations annexes au site