Logistique, Nouvelle économie, Prospective et innovation

Combien de plateformes pour une livraison ?

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Les plateformes de e-Commerce sont bien connues du grand public, mais quelles sont leurs impacts sur les acteurs du transport et de la logistique ?

Il est intéressant de comprendre comment s'articule la mise en place d'un acheminement produit depuis le clic d'une souris ou sur un écran tactile, jusqu'à la réception du produit à la porte du consommateur final. Il existe par ailleurs de plus en plus d'outils également, aussi structurés comme des plateformes, pour faciliter la recherche de fret et la consolidation des opérations de transport pour les professionnels du secteur.

Cette note de l'AFT vous propose donc un petit tour rapide des différentes plateformes qui existent et comment elles sont utilisées pour accompagner l'optimisation des opérations de la chaîne d'approvisionnement, pas toujours auprès des mêmes acteurs.

      I. Contexte

Lorsque l’on évoque une « plateforme de livraison », il nous vient tout de suite en tête les marques telles que UberEats, Deliveroo ou Just Eat, dont la majeure partie des consommateurs de la livraison numérique a expérimenté les services. Mais il existe différents niveaux de digitalisation des services de la livraison et donc différents types de plateformes susceptibles de les accompagner. L’objectif de cette note de synthèse AFT est donc de vous en présenter les grandes catégories et leur impact à ce jour sur les opérations de transport.

La première catégorie, pour commencer par la plus connue, est celle qui permet aux consommateurs finaux d’obtenir un certain nombre de produits ou services, via une livraison à domicile car facilitée par une interface digitale. Il s’agit ainsi de mettre à disposition un catalogue de produits, facile d’accès pour le consommateur, qui n’a plus à se préoccuper de la manière d’y accéder ou même de chercher les meilleurs tarifs puisqu’il peut également y trouver des comparateurs faciles entre produits similaires.

Le deuxième type de plateforme est l’outil digital de consolidation des opérations de livraison ; une bourse de fret numérique. Crucial pour les chargeurs en recherche d’opérateurs de transport, de facilitation de ses relations contractuelles avec des transporteurs ou prestataires logistiques, de comparaison des tarifs mais surtout de choix des possibilités de livraison. Au cœur de la révolution digitale des entreprises, il s’agit d’interfacer les besoins de clients professionnels avec l’offre des experts du transport.

Le troisième et dernier type, à ce jour, de plateforme de livraison est la « crowd-delivery » (en français : « livraison par la foule ») qui vise à révolutionner la livraison du dernier kilomètre en faisant participer les clients finaux aux opérations de transport. Une nouvelle façon de livrer donc, qui s’ajoute à la grande complexité d’une offre de livraison déjà omnicanale et une demande croissante de services personnalisés.

 

      II. Synthèse AFT

          1/ Les plateformes de livraison

Afin de les reprendre dans le même ordre, les plateformes de livraison à domicile sont donc les prestataires les plus connus et visibles du consommateur final actuellement. Avec une stratégie qui repose sur une visibilité digitale et des campagnes de communication agressives, elles sont aussi connues récemment pour leurs écueils en matière de gestion sociale. Par le recrutement d’acteurs de la livraison en statut d’auto-entrepreneurs, elles ont réussi jusqu’à présent à casser les coûts de la distribution en passant par des individus et leurs propres moyens de livraison tout en démultipliant les points à livrer, là où les transporteurs classiques cherchent à consolider et optimiser leurs tournées de livraison.

Ces plateformes sont de plus en plus critiquées sur leur modèle social ; les jurisprudences se multiplient pour défendre le droit des opérateurs du dernier kilomètre et mettre en place un minimum de protection des travailleurs comme le nombre d’heures travaillées dans une semaine, les journées de repos, la couverture en cas d’arrêt maladie, etc. Tous les individus ne sont cependant pas forcément intéressés par ces jugements, puisqu’à l’inverse, cela revient à rendre ces salariés plus « chers » et donc diminuer les recrutements potentiels. Ces évolutions réduisent aussi la flexibilité permise par un statut d’auto-entrepreneur, qui peut fixer ses propres limites en termes d’horaires ou de conditions d’exercice.

Sur le plan économique, elles sont une opportunité intéressantes de visibilité et de diversification de l’offre de service pour des petites entreprises, sous réserve d’être vigilant quant au montant prélevé sur chaque opération. Qu’il s’agisse d’un forfait ou d’une proportion de la valeur livrée, un restaurateur par exemple devra faire attention à ce que le volume des ventes par ce biais soit suffisamment intéressant ou que la marge reste supérieure au forfait de cette livraison à domicile. Ces plateformes offrent cependant une possibilité de digitalisation et des services de livraison à moindre coût pour des petites entreprises qui manquent de moyen pour gérer leur propre logistique : un atout particulièrement efficace lors de la crise Covid-19.

          2/ Les plateformes de l’offre transport

Assimilées à des bourses de fret, ces plateformes sont des opérateurs qui se sont spécialisés dans la construction d’un réseau de transporteurs et la facilitation d’accès aux informations des capacités de livraison d’une zone pour les chargeurs. Concrètement, cela permet à tout client en recherche d’un opérateur de connaître les possibilités, la capacité et les tarifs sur un segment particulier et une zone donnée. Plus le portefeuille de transporteurs et la réputation de la plateforme est performant, plus elle est susceptible d’attirer de nouveaux chargeurs et donc d’apporter du volume d’opérations pour les transporteurs qu’elle rassemble.

Un cercle qui se veut vertueux donc puisque cela permet, du côté « chargeur », de faciliter toutes les démarches de recherche d’un transport, de négociation, de traçabilité, voire même des conditions de transport. De l’autre côté, cela assure du fret et donc de l’activité mais également le rapport de force avec les chargeurs peut s’inverser puisque les transporteurs s’y retrouvent mieux représentés, peuvent également proposer des tarifs plus sûrs pour leurs opérations et refuser des opérations non rentables.

En revanche, la contrainte importante pour les transporteurs réside dans un besoin de devoir digitalisé tout ou partie de leur relation client, ce qui les poussent à rester encore très prudents en termes d’investissement. Cette réticence concerne surtout des opérations dites « spot » c’est-à-dire au cas par cas, en comparaison de relations contractuelles durables avec des clients réguliers, sur des tournées déjà établies. Cela représente aussi un risque de démultiplication des outils digitaux pour prendre les commandes de transport si les transporteurs doivent s’inscrire sur différentes plateformes afin de gagner en visibilité et rentabiliser leur activité.

Enfin, l’une des appréhensions majeure qui persiste pour les transporteurs, c’est la compatibilité de ces plateformes avec leurs outils existants, notamment le TMS, et la protection de leurs données, considérées comme stratégiques au vu de la concurrence élevée sur le segment transport. Il s’agit de trouver des plateformes qui facilitent également la gestion des données en interne, sans être intrusive sur les informations client, la volumétrie, etc.

            3/ La crowd-delivery

Déclinaison du « crowd sourcing » pour les opérations logistiques, il s’agit d’un nouveau modèle de livraison du dernier kilomètre, susceptible de mobiliser chacun d’entre nous individuellement en tant qu’acteur de la chaîne d’approvisionnement de tout business à proximité de notre lieu de vie ou de travail. Le modèle consiste à exploiter des déplacements individuels existants pour les rémunérer en échange d’un déplacement de produit qui n’aura alors pas lieu d’être réalisé par un professionnel du transport. Particulièrement efficace aux Etats-Unis, cela permet des compléments de rémunération pour les individus, réduit les coûts de gestion pour un spécialiste de transport et implique davantage de personnes dans les opérations du dernier kilomètre.

C’est une extension du premier modèle de plateforme, avec souvent des conditions sociales et de rémunération dégradées puisqu’elle encourage le statut d’auto-entrepreneur et constitue une possibilité supplémentaire de livraison pour les « ghost kitchen » ou « dark kitchen ». Les restaurants n’ont alors plus de devanture ou de lieu de consommation physique et préparent uniquement leurs plats à l’attention des livreurs qui effectueront leurs courses jusqu’au consommateur final.

Ce modèle est également utilisable pour réaliser des courses dans un supermarché, au profit d’une tierce personne, à mobilité réduite ou âgée par exemple. Ce dernier format vient cependant sur les platebandes de la grande distribution, qui a déjà mis en place des systèmes de drive ou livraison à domicile, et cherchent à contrer ce type de plateformes avec leurs propres personnels en « crowd delivery », voire en rachetant des plateformes proposant ce format. En effet, le risque perçu pour la grande distribution est l’éloignement des consommateurs de l’expérience d’achat sur site, avec la marque, et donc une perte d’efficacité des stratégies marketing d’appel à la consommation.

Par sa nouveauté, ce dernier modèle ne connait pas encore, contrairement au premier type de plateformes, de jurisprudence pléthorique concernant le statut juridique ou les conditions de travail des livreurs réalisant ces opérations. Il est cependant évident que le modèle social tend à mettre en péril les petits emplois et les personnes déjà en marge de la société, à la recherche d’une rémunération facile et rapide.

 

      III. Perspectives pour la logistique

Pour les opérateurs traditionnels, ou expérimentés, de la logistique il s’agit d’identifier les avantages et inconvénients de ces différents modèles. Pour commencer par les plateformes digitales de l’offre de transport ; c’est un outil de plus dans la course à la digitalisation des entreprises, qui met en évidence un écart de plus en plus grand entre les entreprises ayant adopté les nouvelles technologies vis-à-vis des autres. Il n’est pas simple pour un secteur composé très largement de TPE et PME d’investir dans de tels outils, surtout si la pérennité de la solution peut être remise en question.

En cas de faillite par exemple d’un offreur de solution, qu’en est-il de la gestion avec les clients ? Comment convertir les liens contractuels existants par une nouvelle interface ou rebasculer sur un format traditionnel papier ?

D’un autre côté, aucune plateforme n’offre de couverture universelle, tant au national qu’à l’international, poussant les opérateurs à investir également dans une gestion d’interfaces multiples, si possible par le biais d’autres spécialistes de la digitalisation. La tendance semble cependant aller vers la fusion et la consolidation des bourses de fret, ce qui devrait faciliter l’accès aux petites entreprises et donc augmenter davantage l’efficience de ce qu’elles apportent pour le secteur : un meilleur taux de chargement, une meilleure gestion des rotations, etc. A terme, c’est aussi un meilleur impact environnemental potentiel.

Meilleur taux de chargement, meilleure gestion des rotations... et à terme, un meilleur impact environnemental potentiel.

Certains groupes s’organisent autour de leurs propres plateformes de cotation et transport multimodal, comme Geodis (avec Upply), Kuehne Nagel ou DHL. Ces derniers espèrent ainsi booster leur offre de transport en y rajoutant tout un réseau de petits transporteurs, susceptibles d’améliorer leur offre, leur visibilité et devenir des partenaires à l’avenir.

Pour les deux autres types de plateformes de livraison, le constat est qu’elles apportent une nouvelle offre à ce que l’on nomme désormais l’omnicanalité. Sur des segments différents, des volumes non comparables et donc une autre logistique. En effet, sur de si petits volumes et principalement sur des opérations intra-urbaines, les flux générés par ces services se démultiplient mais ne viennent pas concurrencer les flux traditionnels de transport.

En revanche, elles sont susceptibles d’amener à la création d’une nouvelle logistique professionnelle dédiée à ces flux, pour outiller les livreurs avec des équipements plus performants, les protéger en matière de statut ou de rémunération et structurer davantage une situation qui risquerait de devenir chaotique sans aucune maîtrise ni par une entité privée, ni par les collectivités publiques. Le recours à ces types de plateformes pourrait initier également une reconversion progressive de certaines opérations logistiques urbaines moins rentables vers ces nouveaux flux, à partir d’un hub urbain réorganisé en conséquence.

Les points de dépôt relais ont initié ce genre d’approche et pour l’instant le dernier kilomètre, de la collecte par l’individu jusqu’à son domicile, n’est pas rémunéré, mais tout tend à considérer la possibilité qu’il le devienne un jour, au service d’autrui ?

Ce qui paraît particulièrement intéressant pour le secteur, c’est que dans chacune de ces situations l’implication des pouvoirs publics est essentielle pour protéger les individus qui opérent en bout de chaîne en échange de cette rémunération. Ils sont tout autant concernés que les TPE du transport pour leur redonner un poids dans le rapport de force avec les plus grands acteurs de la distribution. Cela ne devrait plus tarder puisque certaines régions se mettent déjà à créer leurs propres plateformes, d’un nouveau genre, puisqu’elles cherchent à mettre en lien producteurs locaux, transporteurs et consommateurs, pour sensibiliser à une consommation de proximité…

 

Définitions

Omnicanal : capacité d’un distributeur à mettre ses produits à disposition de ses clients finaux sous diverses formes, qu’il s’agisse d’une vente sur site, d’une livraison à domicile, d’une commande pour une préparation à emporter, etc. Cela nécessite une réflexion globale sur les flux, le positionnement et la disponibilité des stocks…

TMS : Transport Management System, ou Système de Gestion des Transports. Il désigne une catégorie de progiciels destinés à gérer les opérations de transport et recouvre une grande variété d'activités ou d'étapes dans la chaine logistique. On distingue deux types principaux selon s’ils sont utilisés par un chargeur ou un transporteur.

Crowd sourcing : il s’agit de l'externalisation ouverte du travail, de la créativité, de l'intelligence et du savoir-faire d'un grand nombre de personnes, en sous-traitance, pour réaliser certaines tâches traditionnellement effectuées par un employé ou un entrepreneur.

Ghost kitchen / Dark kitchen : ce sont des installations professionnelles de préparation et de cuisson des aliments, mises en place pour la préparation de repas livrés uniquement. Certains modèles permettent de récupérer des repas à emporter ou un service au volant.

Crowd delivery : livraison collaborative « par la foule », c’est-à-dire mobiliser des individus a priori non professionnels de la logistique pour réaliser une opération de déplacement d’un produit au service d’une entreprise et à l’attention d’un autre individu.

Sources

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