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L'avenir logistique de la mondialisation

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Comme toutes les évolutions de société l'impliquent, les sujets, techniques et méthodes de gestion avec lesquelles nous avons développé nos modèles ont fortement évolué avec le temps, pour tenir compte des réussites mais également des échecs de la génération passée. Avec une couverture planétaire des chaînes d'approvisionnement, et une offre de service qui recouvre un choix conséquent pour de nombreux articles, sur de nombreux marchés... à quoi la logistique de demain pourrait-elle ressembler ? Sera-t-elle plus durable, plus responsable... ou toujours plus consommatrice de matériaux et d'énergie ?

Nous vous proposons de rassembler plusieurs points de vue, dans cette question délicate et multifactorielle.

      1. Contexte

Les flux logistiques, ce n’est pas une surprise, sont mondialisés. Pour tout acteur du monde économique, les ramifications sont même parfois bien plus vastes et complexes qu’il n’y paraît de prime abord. La mondialisation, ce n’est d’ailleurs pas un phénomène nouveau puisque l’ouverture des frontières, les échanges culturels comme économiques, se sont mis en place depuis l’antiquité entre les peuples des cinq continents.

Celle qui nous intéresse plus particulièrement, car rattachée aux flux logistiques les plus complexes que l’humanité ait connu, s’est mise en place dans les années 1980, avec les politiques de dérèglementation et de libre-échange fortement poussés par les Etats Unis d’Amérique de Ronald Reagan et le Royaume Uni de Margaret Thatcher. La libre circulation des capitaux encourage des échanges de plus en plus nombreux, de plus en plus étendus sur l’ensemble de la planète.

C’est la panacée pour le modèle capitaliste, avec la possibilité d’investir partout, d’innover et d’envisager un développement pratiquement illimité. L’arrivée du numérique a permis d’amplifier encore davantage ce phénomène avec la création d’un marché complémentaire aux flux physiques déjà existants, donc une visibilité de l’offre améliorée.

Pour les professionnels de la logistique cependant, cette montée en puissance n’a cessé d’apporter son lot de risques et menaces sur la chaîne d’approvisionnement. L’innovation intrinsèque à ce monde professionnel est d’ailleurs fortement liée à sa capacité à absorber l’incertitude, à fiabiliser des informations issues de sources complexes et variables. Quel est l’état des lieux aujourd’hui pour ces spécialistes des flux ?

 

      2. Synthèse AFT

Au départ, ce qui fut « mondialisé », ce n’est pas la logistique mais le commerce. Avec la stratégie commerciale mise en place par les grandes entreprises sur leurs produits phare et image de marque, que les marchés (toutes cultures confondues) ont à offrir. La conséquence, c’est que chacune des entreprises qui se développe et part à la conquête de marchés internationaux n’a alors aucune limite. L’objectif est de maximiser les ventes et de prendre des parts de marché pour s’implanter face à la concurrence. Avec un ajustement du prix au niveau de vie local, on s’efforce d’accompagner l’augmentation du niveau de vie des citoyens (principalement pour les marchés de produits finis), pour pouvoir générer et satisfaire de nouveaux besoins.

Pour cela, les ressources ne sont au départ pas considérées un facteur de référence. Les limites de l’exploitation de matériaux ne sont pas encore prises en compte.

Ce sont les premières contraintes logistiques qui vont commencer à mettre en exergue cette problématique et le besoin de considérer l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement dans la stratégie commerciale de l’entreprise.

Le coût des matériaux devient un facteur de compétitivité, donc le coût d’exploitation, de la main d’œuvre et par voie de conséquence la localisation de ces matériaux. Les chaînes d’approvisionnement deviennent internationales, les partenaires qui la constituent aussi, et apparaissent d’autres enjeux pour la mise en œuvre comme la communication, la négociation des marges entre partenaires, la règlementation dans chaque pays ou région.

Les stratégies commerciales s’appuient sur les capacités logistiques pour mettre leurs produits sur le marché tout en maximisant les marges. Les années 1980 voient fleurir les réseaux d’entrepôts de stockage, alors que les années 2000 tendront vers une logique de flux tendus. Entre maîtrise des coûts et accélération des comportements de consommation, tous les acteurs de la Supply Chain commencent à prendre conscience de la criticité de l’information, notamment de sa fiabilité, pour rester compétitifs.

Avec le développement du numérique, les outils d’échange entre partenaires s’améliore, les outils de prévision, de géolocalisation et d’automatisation de traitement des données, de manière générale, améliore les capacités de la logistique. Mais toujours sur le plan commercial, cela ouvre la possibilité de diversifier l’offre et la manière d’atteindre les consommateurs, donc les flux de marchandises qui seront acheminés. Cette démocratisation du numérique va avoir deux incidences sur les capacités logistiques :

  • Augmenter la complexité des opérations pour livrer des produits sous divers conditionnements et via différents canaux,
  • Masquer la réalité physique des flux (il suffit d’un clic pour se voir livrer un colis).

Toutes ces évolutions du marché et des contraintes sur l’organisation des entreprises et de leur chaîne d’approvisionnement avait jusqu’à présent un facteur humain connu. C’est la stratégie commerciale de la direction, appuyée par un argumentaire financier ou marketing, pour atteindre des objectifs opérationnels, qui conditionnait les moyens logistiques pour y répondre.

Cette dernière décennie voit cependant émerger des facteurs de risque supplémentaires pour les Supply Chain. Bien que déjà connus, ils sont de plus en plus exacerbés et rajoute un nouveau facteur de complexité sur la logistique mondialisée :

          Impact technologique

Ce que le numérique a apporté aux Supply Chain internationales, il peut le reprendre tout aussi rapidement. Une surdépendance au numérique peut être un danger si tout ou partie des données venaient à être ciblées par une attaque cybernétique ou autre. Cela peut effondrer un groupe ou une banque, et toutes les entreprises qui lui sont rattachées. Etant donné la forte interconnexion entre nos marchés, des entreprises non-reliées à celle qui fait faillite peuvent aussi fermer, si une région entière par exemple se retrouve sans emploi et capacité à investir.

          Crises sanitaires

La crise covid l’a démontré en impactant pour la première fois la totalité des marchés mondiaux, il est possible, lorsqu’un marché stoppe ses activités, même partiellement (à l’instar de la Chine), de mettre à mal toutes les opérations dans le reste du monde. La disponibilité des stocks ne permet d’absorber le choc que dans une certaine mesure, étant donné la production mondiale en attente d’une relance et le temps que durera la crise.

          Impact environnemental

Le dérèglement climatique est également de plus en plus marqué, et affecte les capacités de production de certaines région du monde. Complexité à extraire les ressources du sol et augmentation des coûts, fréquence des incidences climatiques, pénurie de matières premières… Les marchés doivent se repenser pour aller chercher des ressources qui étaient considérées comme illimitées, et parfois réorganiser la totalité de la chaîne d’approvisionnement, dont les membres qui la composent.

          Crises sécuritaires et politiques

La guerre en Ukraine l’a davantage marqué que les précédentes, car les acteurs impliqués sont à la fois d’importants producteurs mondiaux sur certaines ressources, et des acheteurs ou vendeurs significatifs à l’échelle mondiale. Ce sont des flux en moins, tant financiers que physique, ainsi que des embargos sur certaines régions où transitent d’autres produits.

Pour faire simple, les marchés se sont dotés d’une diversité et une capacité jamais égalée, mais ils ont également créé des déséquilibres importants entre certains marchés et populations, ils se sont fragilisé et les facteurs de risque sont de plus en plus externalisés ou dépendant d’acteurs politiques variés, avec lesquels il est difficile de mettre en place des accords linéaires et harmonisés.

 

      3. Perspectives pour la logistique

La logistique « post-mondialisation » en train de se mettre en place est en train de redéfinir l’ensemble des facteurs qui la fragilise pour mettre en œuvre des leviers d’action qui assurent la continuité des opérations. Il faut identifier trois niveaux sur lesquels ces actions correctrices ou mesures d’atténuation sont mises en place :

  • Niveau opérationnel

Que ce soit pour l’accès aux matières premières et produits semi-finis, pour la disponibilité et capacité des infrastructures de transport ou faire face aux capacités des fournisseurs à servir leurs engagements, les professionnels de la logistique mettent en œuvre toute la palette d’actions qui fait son expertise : produits et fournisseurs de substitution, diversification des sources, contournement des zones de risque, etc.

Les outils et méthodes utilisés pour cela sont relativement connus, passent par des outils plus performants, des systèmes d’alertes, etc.

  • Niveau tactique

L’augmentation des coûts, la variabilité de la production, l’impact sur la qualité tout au long de la chaîne d’approvisionnement requiert une réflexion sur les mécanismes logistiques qui existent pour restructurer la chaîne d’approvisionnement. Entre relocalisation, prépositionnement de stocks ou remise à plat des partenaires de la Supply Chain, les grandes marques notamment peuvent influencer l’organisation globale et redistribuer les cartes. La prise en compte de l’évolution des règlementations est primordiale à ce stade, si possible par anticipation (cf évolution des critères ESG sur l’évaluation de l’impact des entreprises).

  • Niveau stratégique

La logistique s’est progressivement imposée aux comités de direction des plus grands groupes, jusqu’à devenir des services ou direction « Supply Chain ». Cette évolution de la perception des métiers et de leur impact sur la stratégie d’entreprise n’est pas anodin. De nombreux risques peuvent être adressés par révision partielle voire complète de la stratégie commerciale : en prédéfinissant les canaux de distribution, en travaillant sur l’image de marque pour vendre des produits plus locaux ou sous labellisation (bio, made in France, etc.), mais aussi en travaillant sur la compréhension des contraintes transport auprès du consommateur final.

En effet, l’usage du terme « transport gratuit » pour une livraison à domicile n’aura pas le même impact qu’un « transport offert » ou « transport inclus ». De même, offrir un choix de modalités de livraison en indiquant l’empreinte carbone de chaque option initiera une prise de conscience collective qui révolutionnerait l’usage des transports à terme…

Cette nouvelle forme d’échanges internationaux ne remet pas en cause toutes les évolutions ultérieures ni les apprentissages des acteurs de la Supply Chain jusqu’à présent. En revanche ils mettent en évidence l’évolution du rôle de la logistique dans la prise de décision et l’importance de la coordination du secteur privé avec les politiques et autres partenaires avec lesquels des solutions vont se construire (y compris le milieu associatif et les administrations publiques). Il est fort probable que la logistique nouvelle génération devra s’appuyer sur ce rôle stratégique et d’influence des décideurs, internes ou externes à l’entreprise. C’est déjà le cas à moindre échelle dans les projets d’urbanisation, ce qui montre le besoin d’une coordination internationale sur les possibilités et besoins de chaque continent pour préserver les échanges, les positions politiques, les accords de collaboration, etc.

 

Définitions :

Critères ESG : Environnement, Social, Gouvernance. Il s’agit des facteurs permettant d’évaluer le caractère durable d’une activité et qui permet d’analyser les opérations extra-financières d’une entreprise.

 

Sources

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