Innovation, Prévention routière, Transport

Innovation dans la sécurité routière : les moteurs de l’investissement dans le transport routier

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L'IRU a publié en février 2020 un rapport sur les investissements en matière de sécurité routière réalisés par les entreprises de transport de marchandises et de voyageurs. Ce rapport est le fruit d’une enquête quantitative menée auprès de 1 000 entreprises[1] ayant fourni leur perception des ressorts de ce qui conduit ou non à la décision d’investir dans la sécurité des activités de transport.

Le premier constat dressé par l’IRU est que, malgré le fait que le transport professionnel soit impliqué dans moins de 3 % des accidents de la route, dont 85 % résultent d’une erreur humaine (et dont 25 % seulement sont imputables au conducteur professionnel, le reste étant imputable à d’autres usagers), les entreprises sont déterminées à continuellement promouvoir la sécurité, 86 % d’entre elles estimant même que leur réussite économique en dépend.

Parmi les motivations des entreprises, le rapport cite naturellement leur responsabilité sociétale ainsi que leur efficacité opérationnelle tout en identifiant d’autres avantages procurés par l’amélioration de la sécurité. Sont notamment évoquées l’amélioration de la performance de l’entreprise (compétitivité renforcée) et une productivité rehaussée par une réduction des coûts opérationnels.

Dans quoi les entreprises investissent-elles ?

Interrogées sur l’objet de leurs investissements actuels destinés à améliorer la sécurité, l’enquête révèle que :

  • 41 % des entreprises investissent dans les innovations technologiques afférentes au véhicule
  • 31 % investissent dans l’humain
  • 28 % investissent dans l’opérationnel

Les investissements dans les véhicules visent divers équipements de sécurité tels que les rétroviseurs d’angles morts, les feux de circulation diurnes et les systèmes intelligents de sécurité comprenant les systèmes de freinage automatiques, les capteurs d’alerte et les solutions de maintien de trajectoire.

Les investissements dans l’humain comprennent ceux en faveur de la formation des personnels et des solutions d’évaluation de l’aptitude à la conduite telles que les solutions de surveillance de la fatigue ou de la consommation de stupéfiants, le développement de lignes directrices en matière de santé et de sécurité ainsi que les systèmes incitatifs récompensant les comportements vertueux des conducteurs.

Quant à l’investissement dans l’opérationnel, celui-ci est protéiforme, allant des systèmes de gestion de flotte et des tournées (suivi des véhicules, optimisation des tournées, gestion du carburant), à l’intelligence artificielle (systèmes d’anticipation des accidents et autres risques sécuritaires), en passant par les conseillers en sécurité, les certifications de sécurité, la mise en place de rapports de sécurité systématisés ainsi que les solutions assurancielles reposant sur la performance sécurité des véhicules et conducteurs.

Pour l’avenir, le rapport révèle l’importance croissante que devrait prendre la sécurité dans les investissements des entreprises :

  • 80 % des entreprises expriment leur intention d’investir dans les innovations technologiques afférentes au véhicule
  • 68 % dans l’humain
  • 69 % dans l’opérationnel

Pourtant les freins et barrières à l’investissement ne manquent pas.

Les barrières à l’investissement

Les entreprises identifient facilement les facteurs rendant plus difficile la décision d’investir et il s’avère que les freins prépondérants varient selon l’objet de l’investissement.

S’agissant de l’amélioration de la sécurité à travers des investissements dans les technologies innovantes du véhicule, les entreprises interrogées citent avant tout le manque de ressources financières (20 %) et l’identification d’un faible rapport coûts-avantages (16 %). Le rapport souligne que ce résultat devrait :

  • inciter les fabricants et autres fournisseurs de technologies innovantes à promouvoir des solutions financièrement plus abordables ;
  • amener les pouvoirs publics à favoriser de meilleures aides et autres options de financement.

S’agissant de l’investissement dans l’humain, si les aspects financiers constituent bien un frein important (18 %), la plus grande barrière identifiée est la résistance au changement (19 %)  : il faudrait expliciter davantage aux salariés le rôle central qu’ils jouent dans la survenance des bienfaits d’une sécurité accrue. Ceci passe notamment par un renforcement du cadre de formation des conducteurs ainsi que par la reconnaissance et la récompense des salariés à raison des efforts consentis pour la sécurisation de l’activité.

En revanche, pour ce qui concerne les opérations de transport, plusieurs barrières à l’investissement ayant un niveau d’importance comparable sont identifiées, ce qui rend d’autant plus hétérogènes les mesures correctives envisageables. Il s’agit aussi bien du manque de savoir-faire technologique (14 %), que du manque de ressources humaines (14 %), financières (17 %), de la résistance au changement (16 %), d’un faible rapport coûts-avantages (15 %) ou de l’inexistence de solutions techniques répondant à leurs besoins (14 %).

La persistance de ces barrières et la nécessité de favoriser de façon durable les investissements pour un transport plus sûr amènent l’IRU à préconiser une collaboration renforcée entre pouvoirs publics et secteur privé, de manière à créer un environnement normatif et des incitations bien ciblées permettant aux opérateurs de transport d’avoir les moyens d’investir pour assurer la sécurité de leurs employés, des passagers et des usagers de la route dans les court et long termes.

Le nécessaire suivi des progrès réalisés

Toutefois, ceci ne sera pas suffisant. Afin d’être en mesure de mieux identifier les risques et de mesurer les effets des investissements consentis, le rapport montre qu’un système de suivi des progrès réalisés s’impose.

Ce suivi suppose d’abord l’analyse des données disponibles. Sur ce point, même si des marges de progrès existent, l’enquête révèle que 57 % des entreprises procèdent à une analyse systématique des données collectées portant sur la sécurité des opérations de transport[2]. Plus d’un tiers des entreprises (37 %) n’analysent que certaines données et admettent la nécessité de systématiser ces mesures à travers la mise en place de process plus robustes. Peut-être plus inquiétant, 5 % des entreprises disent ne jamais analyser les données recueillies relatives à la sécurité.

Les obstacles compliquant ou retardant la mise en place de systèmes de suivi efficaces tiennent surtout aux ressources disponibles, qu’il s’agisse des ressources technologiques (29 % des entreprises interrogées), des ressources humaines adaptées (30 %) ou des ressources financières (33 %).

Mais au-delà du suivi des effets des investissements améliorant la sécurité des opérations, le rapport suggère de mettre en place un suivi retraçant les mesures prises sur l’ensemble de la Supply chain en assurant le suivi des mesures prises par les sous-traitants notamment. A cet égard, 74 % des entreprises interrogées affirment suivre les progrès réalisés par leurs sous-traitants, à travers le suivi (tracking) des opérations mais aussi à travers l’introduction de dispositions contractuelles les obligeant à respecter certaines normes de sécurité routière.

Il n’est dès lors pas surprenant d’apprendre que 90 % des entreprises souhaitent l’adoption de normes internationales harmonisées en la matière. De telles normes pourraient concerner des évaluations d’aptitude à la conduite, la gestion de la vitesse, les formations obligatoires, les certifications obligatoires (ISO), les solutions anti-distractions, les systèmes de sécurité intelligents, le reporting obligatoire etc.

Des actions multidirectionnelles à engager pour l’avenir

Afin que les entreprises soient en mesure d’assumer leur responsabilité sociétale, le rapport souligne la nécessité, outre des recherches et analyses plus poussées, de mener encore d’autres actions afin de lever les barrières à l’investissement constatées.

Il s’agirait en premier lieu de développer une véritable culture de la sécurité qui ne serait pas l’apanage des seuls opérateurs de transport, mais qui s’étendrait à tous les acteurs de leur écosystème (pouvoirs publics, clients, fournisseurs, usagers etc.). Cet axe de développement passerait par un partage d’expériences et l’identification de bonnes pratiques.

Parallèlement, il faudrait améliorer les incitations financières disponibles, à travers par exemple une adaptation cohérente de la fiscalité et des subventions proposées, ou encore une réglementation différenciée de l’accès à certaines zones géographiques selon que les pratiques en matière de sécurité sont ou non vertueuses, ce qui aurait pour effet d’améliorer le rapport coûts-avantages des investissements en faveur de la sécurité.

Naturellement, les risques en matière de sécurité liés au facteur humain étant bien établis, il faudrait poursuivre l’effort de formation qui devrait incorporer à la fois les aspects techniques et la dimension culturelle de la sécurité. 60 % des entreprises souhaitent en outre des campagnes de communication ciblant directement les conducteurs afin de favoriser les changements culturels attendus.

Enfin, les résultats de l’enquête conduisent à estimer que l’adoption de normes internationales harmonisées sera déterminante en ce qu’elle permettra à long terme de lisser à travers les frontières le coût des investissements nécessaires. A cet effet, le rapport suggère une coopération réelle entre entreprises et pouvoirs publics de nature à permettre une régulation intelligente de la sécurité des opérations de transport.

 

L’un des grands mérites de cette enquête menée par l’IRU aura finalement été de vérifier, directement auprès des transporteurs, que si les innovations technologiques sont au rendez-vous et que le besoin d’une sécurité accrue dans le transport routier est établi, rien n’est acquis et la profession a plus que jamais conscience du chemin restant à parcourir. Dans l’intérêt général, c’est là un chemin que les transporteurs ne doivent pas emprunter seuls mais soutenus et accompagnés par tous.

 


[1] L'enquête a été menée dans 26 pays présélectionnés en Europe occidentale et orientale, ainsi que dans la région de la Communauté des Etats indépendants (CEI) : https://www.iru.org/resources/newsroom/iru-report-uncovers-barriers-road-safety-investment
[2] 64% des entreprises de plus de 300 véhicules, et 51% des entreprises disposant de moins de 25 véhicules.