Environnement et Développement Durable, Prospective et innovation

Deux scénarios pour un transport de marchandises décarboné en 2050

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L’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) a publié en décembre 2019 une étude très instructive intitulée Trajectoires de décarbonation profonde du transport de marchandises. Cette étude décrit les transformations attendues sur les systèmes logistiques de transport permettant d’atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément aux objectifs fixés par la COP21.

Deux scénarios radicalement différents sont examinés pour parvenir à cette décarbonisation du transport terrestre de marchandises :

  • Dans le scénario 1, le système est marqué par la poursuite des tendances actuelles en matière de production, de consommation et de distribution. La demande et l’intensité du transport continuent ainsi d’augmenter avec des attentes telles que les livraisons en juste à temps font que le transport routier est privilégié. Dans ce scénario, la décarbonation repose essentiellement sur la transformation du parc roulant (VUL et PL), avec le défi technologique majeur de permettre une autonomie supérieure à 500 km et une très forte demande en agrocarburants.
  • Le scénario 2, en revanche, est un scénario de rupture avec un bouleversement du système de production, de consommation et d’échange. Dans ce scénario, l’économie circulaire est encouragée, les échanges relocalisés, et la demande de transport maîtrisée. La réduction des quantités transportées et des distances moyennes parcourues rend moins pressants les besoins d’autonomie des véhicules, tandis que sont prises des mesures d’investissement favorables au report modal qui soulagent la pression sur la demande en biocarburants.

L’étude décrit l’impact du déploiement de chacun de ces deux scénarios sur :

  • Les infrastructures logistiques et de transport
  • Les offres de services logistiques et de transport
  • Les véhicules impliqués dans le transport de marchandises
  • Et enfin le recours à des carburants bas carbone

 

Des effets différenciés sur le développement des infrastructures

La poursuite du développement du commerce international dans le scénario 1 entraîne potentiellement une extension et un renforcement des infrastructures portuaires. Au contraire, la prise de conscience des enjeux de développement durable dans le scénario 2 n’induit pas un tel besoin.

Parallèlement, le maintien des exigences temporelles de juste-à-temps dans le scénario 1 exclue le développement de plateformes multimodales ailleurs que dans les grands ports maritimes. En revanche, l’abandon de ces contraintes temporelles sous le scenario 2 en favoriserait l’essaimage à l’échelle nationale  d’un réseau, tous les 200 à 300 km, de plateformes régionales multimodales dites « amont » reliées à un ensemble de plateformes multimodales dites « aval » fonctionnant comme des centres de distribution urbaine.

Le scénario 2 favorise en outre le développement des infrastructures ferroviaires à travers aussi bien le dédoublement des voies à proximité des grandes agglomérations où le trafic passagers sature les lignes, que le développement des autoroutes ferroviaires sur l’axe Atlantique par exemple.

Le scénario 1, par le maintien des contraintes temporelles, n’est pas de nature à favoriser un rééquilibrage de la part du fret par rapport à celle des passagers dans le transport ferroviaire, contrairement au scénario 2.

Aussi, sous le scénario 1, l’exigence de délais de livraisons toujours plus courts, associée à un manque de transparence sur la tarification des livraisons du dernier kilomètre, est de nature à sous-optimiser les capacités de transport (moindre taux de remplissage des véhicules) et à favoriser la congestion du trafic. A contrario, le scénario 2, supposant notamment la relocalisation de sous-écosystèmes de production et de consommation, favorise le développement d’une urbanisation qualitativement améliorée (développement de centres de distribution urbains, nouveaux emplacements de stationnements, voies dédiées pour vélos cargo etc.).

 

Vers une optimisation des offres de services

En parallèle, l’étude souligne que le besoin d’un système de transport routier régional de qualité envisagé dans le scénario 2 fait que les salaires devraient progresser de 20 % d’ici à 2050, au bénéfice de l’attractivité du métier.

Le développement de la dimension digitale aura par ailleurs un effet similaire quel que soit le scénario envisagé. En effet, le développement de l’internet physique permettant un meilleur échange d’informations entre chargeur et transporteur, et de la blockchain favorisant la sécurisation de leurs échanges, conduiront à une optimisation des taux de chargement des véhicules, aussi bien en tonnes qu’en volumes. Les auteurs notent cependant que le relâchement de la contrainte temporelle dans le scénario 2 autorise une plus grande optimisation encore des taux de chargement.

Enfin, l’étude avance sans surprise que, sous les deux scénarios, le recours (généralisé dès 2025) aux applications de « routing » optimisant les trajets et à la formation en éco-conduite des conducteurs devrait aboutir à une amélioration des consommations effectives des véhicules.

 

Des effets convergents sur les types de véhicules en circulation

L’étude rappelle que les dernières réglementations européennes obligent les constructeurs de véhicules à réduire pour les nouveaux PL, par rapport aux performances enregistrés en 2019, de 15 % en moyenne les émissions de CO2, d’ici 2025 et de 30 % d’ici 2030. En outre, dès 2025, les PL à faible et à zéro émission de CO2 devront représenter 2 % des ventes. Le même type de règles sera applicable aux VUL.

Par ailleurs, la réglementation tant nationale (à travers notamment l’incorporation du coût du réchauffement climatique dans la TICPE) que locale (système de vignettes dans les aires urbaines) aboutiront dans les deux scénarios envisagés à l’augmentation de la circulation de véhicules bas carbone.

Les innovations attendues sur les motorisations des véhicules devraient réduire les consommations énergétiques des moteurs thermiques de 40 % à l’horizon 2050, et jusqu’à 10 % celles des motorisations électriques.

De plus, quel que soit le scénario envisagé, sur le segment des livraisons urbaines réalisables par des VUL, les véhicules électriques sans appoint thermique pourront représenter, en 2050, 80 à 90 % du parc de véhicules.

Les niveaux d’autonomie actuels (jusqu’à 300 km), et ceux annoncés dès 2030 (jusqu’à 500 km), ouvriront la voie à l’acquisition de PL électriques pour le transport régional.

En revanche, s’agissant du transport longue distance, dont la demande est particulièrement forte dans le scénario 1, plusieurs motorisations seront possibles : motorisations électriques, hybrides, biodiesel, hydrogène ou motorisations thermiques aux agro-carburants liquides ou gazeux.

Sur le transport ferroviaire, l’étude rappelle que quel que soit le scénario retenu, la réglementation aboutit à l’interdiction des émissions en 2050, ce qui devrait conduire les gestionnaires d’infrastructures ferroviaires à développer l’électrification du réseau secondaire.

 

Les effets induits sur la production et la distribution de carburants bas-carbone

Le recours aux agro-carburants liquides sera différent selon le scénario envisagé. Le fort développement du transport routier envisagé dans le scénario 1 laisse apparaître le besoin d’une production nationale atteignant les 50 TWh complétée par des importations substantielles pour répondre à la demande. Dans le scénario 2, la production nationale devrait se limiter aux moyens de production existant aujourd’hui et évalués à 35 TWh.

S’agissant des agro-carburants gazeux, leur demande devrait atteindre jusqu’à 142 TWh dans le scénario 1, et ne pas dépasser 82 TWh dans le scénario 2.

Cependant, dans les deux scénarios, la satisfaction des besoins du transport de marchandises en agro-carburants sera en concurrence avec les besoins des autres secteurs économiques.

Pour le transport régional, le rechargement pourra être effectué de nuit, ce qui réduit les besoins en investissements pour des infrastructures de recharge supplémentaires. En revanche, pour les transports de longue distance, le scénario 1 faisant apparaître une intensification de ces trajets, des infrastructures supplémentaires (électrification de portions de route) seront à prévoir en particulier aux abords des grandes agglomérations. Dans le scénario 2, la multiplication annoncée des plateformes logistiques pourront servir d’autant de points de recharge.

 

Cette étude a le mérite de révéler, en livrant une impressionnante quantité d’informations, comment deux chemins pourront nous amener à un objectif unique de neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais demeure alors la question primordiale : quel chemin choisir ? Il appartiendra aux acteurs concernés -publics et privés- d’en décider, en connaissance de cause désormais.

Source : https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/rapport/trajectoires-de-decarbonation-profonde-du-transport-de