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Conduite Connectée et Automatisée : l’IRU dévoile ses scénarios sur l’emploi

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L’IRU vient de publier une étude [1]explorant les effets possibles sur l’emploi (ainsi que sur d’autres indicateurs sociaux) de l’introduction de la Conduite Connectée et Automatisée (CCA) dans le transport routier de marchandises et de voyageurs. Cette étude présente également des actions de politiques publiques pour répondre aux défis liés à ces impacts et renforcer les opportunités de la CCA.

 

Des scénarios qui soulignent un besoin de régulation des pouvoirs publics

L’étude développe quatre scénarios pour l’utilisation et la diffusion de la CCA : deux cas limites, qui analysent les situations d’adoption maximale et minimale des véhicules de niveau SAE 5, qui correspond à des véhicules entièrement connectés et automatisés, et deux cas intermédiaires. 

Le scénario 1 est le scénario avec la pénétration maximale des véhicules de niveau 5. Il suppose que :

  • la technologie évolue rapidement, puisque la transition de l'automatisation actuelle du niveau 2 au niveau 5 aura lieu dans 15 ans, tant en transport de marchandises que de voyageurs ;
  • les véhicules automatisés et connectés sont autorisés à circuler dans les zones urbaines et rurales sans restriction ;
  • la technologie est peu coûteuse, totalement fiable et sûre, et couplée au développement d’interfaces homme-machine conviviales, ce qui rend son acceptation élevée ;
  • la mobilité personnelle prend principalement la forme d'une mobilité privée avec une utilisation limitée des services partagés ;
  • le déploiement de la CCA suit un rythme différencié en Europe, avec une dizaine de pays, dont la France, se comportant comme des pays précurseurs, et tous les autres pays suivant avec un délai de 5 ans.

Sous les conditions posées par le scénario 1 (développement technologique rapide et circulation de véhicules automatisés et connectés non restreinte), le trafic automobile dans l’Europe des 27 pourrait être d’ici 2050 de 28% supérieur à celui du scénario de référence, ce qui entraînerait de la congestion, particulièrement dans les zones urbaines.

Le scénario 2 est le scénario avec une pénétration intermédiaire des véhicules de niveau 5. Il se différencie seulement du scénario 1 par la mise en place par les autorités locales et nationales de restrictions de circulation des véhicules de niveau 5. L’objectif de ces restrictions est de se donner du temps pour suivre l'évolution de la demande de mobilité et éviter tout impact défavorable sur les distances parcourues, les fréquences de déplacement, la congestion des infrastructures, l'étalement urbain, le report modal etc. 

Dans ce scénario 2, le trafic automobile pourrait tout de même augmenter de 11% d’ici 2050 comparé au scénario de référence.

Le scénario 3 est le scénario avec une pénétration modérée des véhicules de niveau 5.Il suppose que :

  • le développement technologique se produit à un rythme plus lent que dans les deux scénarios précédents, du fait de la complexité des solutions technologiques ;
  • un coût relativement élevé des véhicules de niveau 5 limite leur utilisation ;
  • la mobilité partagée se développe plus rapidement en raison de l'émergence de nouveaux services de mobilité relativement peu coûteux fonctionnant 24h / 24 et desservant également des zones reculées ou à faible demande ;
  • les autorités nationales et locales imposent des restrictions à la circulation des véhicules entièrement automatisés : elle est d’abord limitée aux zones urbaines ;
  • le déploiement de la CCA se fait à un rythme différencié en Europe avec seulement six pays se comportant comme des pays précurseurs et tous les autres pays (dont la France) suivent avec un délai de 5 ans. 

Même dans le scénario 3 qui assume une appétence plus large pour des services de mobilité partagée, une hausse du nombre de véhicules par kilomètre est attendue. Ces résultats soulignent l’importance du rôle des autorités de gouvernance des transports pour limiter cette croissance.

Le scénario 4 est le scénario d’une faible pénétration des véhicules de niveau 5 en raison d'une lente amélioration technologique associée à une faible acceptation des utilisateurs finaux. Ce scénario se différencie en effet du précédent par un scepticisme généralisé des utilisateurs et des pouvoirs publics à l’égard des VAC. Disponibles sur le marché uniquement à partir de 2045, les véhicules de niveau 5 connaissent une faible utilisation jusqu'en 2050, en raison de l'effet combiné d'un coût d'achat élevé et d'une faible acceptabilité des utilisateurs. 

Synthèse des quatre scénarios :

synthèse scénarios

Des impacts négatifs sur l’emploi attendus après 2035

L’étude révèle que les services de transport rencontreront deux périodes de transition distinctes au cours des vingt prochaines années. Au cours de la première, il faudra faire face à la pénurie croissante de conducteurs. Au cours de la deuxième décennie, avec le déploiement des niveaux SAE 4 et 5, il faudra se concentrer sur la réduction des emplois de conducteurs traditionnels et la nécessité d’organiser une requalification et une amélioration des compétences de la main-d’oeuvre pour la préparer à évoluer vers d’autres emplois. 

Dans les services de transport de passagers, la perte d’emploi des services de transport de passagers est davantage accentuée dans les scénarios 3 et 4, qui prévoient une croissance significative du covoiturage. Le covoiturage est particulièrement disruptif dans le scénario 3 : il pourrait, avec les autres services de transports automatisés plus petits, détruire environ 900 000 emplois liés aux transports en commun et aux taxis, tout en créant 600 000 nouveaux emplois à horizon 2050. Dans les scénarios 1 et 2, la CCA sera principalement adoptée à des fins de mobilité individuelle, ce qui affecte relativement moins le secteur du transport de voyageurs. 

Les services de transports de marchandises connaissent un déclin de l’emploi plus marqué que dans le transport de voyageurs puisque les flottes de véhicules seront rapidement transformées par l’arrivée de nouveaux véhicules automatisés et plus économiques. La perte d’emploi est plus forte dans les scénarios d’adoption rapide (scénarios 1 et 2)avec des pertes d’emploi pouvant atteindre 58% par rapport à 2020dans le cas du scénario 2. En revanche, dans le scénario d’adoption lente (scénario 4), où la transition vers la CCA est encore à un stade de développement précoce en 2050, il est possible d’observer une croissance nette de l’emploi puisque l’impact de la hausse de la demande de transports surpassera la perte d’emploi liée à la CCA. 

Niveaux et variations d’emploi selon les scénarios :

tableau niveau et variation d'emplois

La CCA remplacera surtout les emplois de conducteur. Dans le transport de marchandises, l’étude prévoit que des opérateurs de mobilité superviseront les camions et les véhicules utilitaires légers, à partir du niveau SAE 4. Ces derniers opéreront soit à bord, soit à distance. 

La présence humaine pourrait être requise à bord de véhicules entièrement automatisés pour prévenir la criminalité et pour effectuer des tâches de sécurité ou administratives liées à la logistique. Dans le secteur du transport de passagers, les conducteurs resteront postés dans le véhicule jusqu’au niveau SAE 5, mais ils assumeront davantage de tâches orientées vers le client. À partir du niveau SAE 5 (sans conducteur), des stewards pourraient être introduits à bord pour assurer les relations client, le service à la clientèle, et pour assurer la sécurité et la sûreté du véhicule. 

Le personnel des centres de contrôle pourrait jouer un rôle de plus en plus important dans le transport de marchandises et de passagers. Les centres de contrôle pourraient devenir un nouvel environnement de travail, à partir duquel les opérateurs de mobilité superviseront et commanderont les véhicules. 

Les compétences requises diffèrent de celles d’un conducteur traditionnel dans la mesure où les opérateurs de mobilité auront besoin de moins de compétences de main-d'oeuvre et plus de compétences de supervision. En outre, les opérateurs de mobilité peuvent exercer plusieurs tâches non liées à la conduite (comme les tâches administratives par exemple). 

On s’attend à une évolution générale vers davantage de compétences informatiques et de compétences liées aux relations client. Ces changement exigeront une requalification et une amélioration des compétences de la main-d’oeuvre dans le secteur de la mobilité.

Vers une feuille de route sociale

Le problème lié à la pénurie de conducteurs restera entier au moins jusqu’en 2035, néanmoins l’introduction de la CCA pourrait détruire un grand nombre d’emplois de conducteurs à l’horizon 2050, particulièrement dans le transport des marchandises, et une partie de la main-d’oeuvre devra s’engager dans un long processus d’apprentissage pour s’adapter aux nouvelles exigences du marché du travail.

Un ensemble d’options politiques à implémenter dans le court, moyen et long-terme doit préparer cette transition en permettant par exemple la génération de nouvelles connaissances, en adaptant le cadre légal si nécessaire, en facilitant et assurant le suivi de la transition vers les niveaux SAE 4 et 5, en assurant une requalification et une amélioration des compétences de la main-d’oeuvre. Dans ce processus, les auteurs de l’étude recommandent que le développement de la CCA soit lié aux objectifs du « Green Deal » européen pour rendre le secteur des transports plus durable. Il doit ainsi s’orienter vers des solutions efficaces de transport collectifs de passagers et de transport intermodal de marchandises. 

Un élément-clé pour le succès de la transition résidera dans la coopération et le dialogue entre l’industrie, la profession, les salariés du secteur des transports, les autorités et les usagers. Cette coopération devra être soutenue par les décideurs politiques au niveau de l’UE et des États membres.


[1] Study on exploring the possible employment implications of connected and automated driving: https://www.iru.org/resources/iru-library/cad-study-final-report

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