Innovation, Transport

Véhicule autonome : pour quelles marchandises et à quels coûts ?

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Selon une étude de l’IFSTTAR*, l’arrivée annoncée du véhicule autonome (VA) dans le Transport Routier de Marchandises est susceptible d’avoir des effets substantiels sur les équilibres économiques actuels, notamment l’offre et la demande de transport. Cette étude a développé une série de modèles permettant de mesurer les impacts de l’introduction du VA à travers la réaction prévisible à une modification de l’offre de transport, en tenant compte des coûts directs (le transport) et indirects (les coûts d’inventaire).

Les deux scénarios définis par l’IFSTTAR reposent sur le recours à des poids lourds présentant une autonomie complète de niveau 5[1]. Le premier scénario suppose une circulation du véhicule en autonomie sur autoroute (sans intervention d’un conducteur) mais pas sur les autres réseaux routiers (pré et post-acheminements), tandis que le second prévoit une circulation autonome totale, sans que la présence d’un opérateur soit nécessaire à bord, libérant ainsi de l’espace pour transporter davantage de marchandises. Le platooning, en revanche, n’est pas pris en compte dans l’étude.

Une baisse du poids des envois

Les résultats de l’étude montrent que, quel que soit le scénario analysé, l’avènement de l’autonomie conduit à une diminution du poids des envois, ceux-ci devenant « plus petits, plus nombreux et plus fréquents ».

Cet effet est toutefois bien plus marqué dans le scénario d’autonomie totale. Dans le scénario d’autonomie partielle, on observe une légère hausse du poids des envois inférieurs à 20 tonnes et inversement, une franche diminution du poids des envois supérieurs à ce seuil.

Une analyse par type de marchandise révèle aussi que :

-          dans le scénario d’autonomie partielle, des variations à la hausse du poids des envois sont prévisibles pour les produits agricoles, l’agroalimentaire, les produits métalliques et le BTP, tandis que les produits chimiques, les engrais et les minerais conduisent plutôt à une variation à la baisse ;

-          dans le scénario d’automatisation totale, la baisse du poids des envois, résultant de la baisse des coûts fixes du transport, peut atteindre 45 % et concerne avant tout les produits agricoles ou chimiques.

En outre, la modélisation retenue révèle une forte corrélation entre la modification du poids des envois et la fréquence de ceux-ci. Ainsi, le scénario d’autonomie totale aboutissant à une diminution du poids de tous les envois, conduit-il à :

-          une hausse significative de la fréquence de ces derniers

-          à une hausse des émission de GES[2]

-          au recours potentiel à des véhicules dont la charge utile est plus faible.

Une hausse du recours à des camions complets

En fonction de la variation de la structure des coûts du transport et de la logistique et de celle du poids des envois, l’automatisation produira aussi des effets sur le recours ou non à des camions complets.

A cet égard, l’étude montre que, dans le scénario d’autonomie partielle, la part des envois transportés en camion complet demeure globalement stable, même si l’étude décrit une hétérogénéité selon le type de marchandises transportées, avec par exemple une baisse de la part de camions complets pour les produits à haute valeur ajoutée (notamment produits manufacturés, chimie et engrais). En effet, pour de tels produits, les marchandises sont transportées en plus petites quantités et sur des distances plus longues.

En revanche, le scénario d’autonomie totale, impliquant un effet plus important sur la structure des coûts, les prix et les comportements des chargeurs, fait apparaître un report substantiel des opérations sur des camions complets : dans ce scénario, il deviendrait moins impératif de massifier les flux dans la mesure où les coûts du véhicule et de personnel baissent substantiellement.

Des effets différenciés sur les coûts logistiques

L’étude examine par ailleurs la réaction des chargeurs à l’automatisation.

Ainsi, l’automatisation partielle entraînerait globalement une baisse en moyenne de 7% des coûts totaux logistiques. Mais les auteurs préviennent aussitôt qu’au moins 25% des flux verraient une augmentation des coûts si la technologie (d’autonomie partielle) était universellement déployée, de sorte que, face à un choix entre autonomie partielle et véhicules classiques, un grand nombre de chargeurs feraient ici le choix du véhicule classique.

Dans le scénario d’automatisation totale en revanche, les gains économiques sont bien plus importants puisque les résultats de l’étude font apparaître des bénéfices plus francs et plus importants. C’est ainsi que les coûts totaux logistiques diminueraient à peu près uniformément, quelle que soit la nature des marchandises transportées, de plus de 28% (et pouvant aller jusqu’à environ 50%) pour 95% des flux. Ceci résulterait à la fois de la diminution du coût du véhicule, de l’abandon du recours à un conducteur et de l’augmentation de la capacité de charge utile. Dans ces conditions, les auteurs de l’étude parient sur une adoption massive et rapide d’une solution d’autonomie totale.

 

Cette rigoureuse et riche étude aura eu le mérite de confirmer que l’apparition d’une innovation technologique ne suffit pas à garantir son utilité économique, ni a fortiori son adoption par les acteurs du marché ciblé.

S’agissant de l’introduction du poids lourd autonome de niveau 5, les résultats montrent bien que sa pertinence économique pour les chargeurs et ses chances de succès auprès d’eux sont bien plus évidentes lorsque l’autonomie est totale.

Mais cette considération est loin d’épuiser le débat puisque l’étude met en exergue d’autres problématiques intéressant non plus seulement les chargeurs mais plaçant aussi l’action publique au cœur des enjeux. Car, si un scénario d’autonomie totale est appelé à un réel succès commercial auprès des chargeurs, eu égard à la diminution escomptée des coûts totaux logistiques, il semble devoir s’accompagner d’une hausse prévisible des trafics et, par ricochet, des problèmes de congestion d’émissions de GES et d’emploi qui ne manqueront pas de surgir et qui devraient conduire à une plus forte coordination des politiques publiques concernées.

La bonne nouvelle est que la Profession s’est d’ores et déjà pleinement saisie des questions relatives à l’emploi et aux compétences, et a bien avancé dans sa réflexion, tant au niveau national[3] qu’européen[4].

 

 


* Le véhicule autonome va-t-il transformer en profondeur le transport de marchandises ?, rapport de recherche, El Mehdi ABOULKACEM & François COMBES, IFSTTAR, 21 mai 2019

[1] Selon la classification SAE, voir p. ex. : https://www.researchgate.net/figure/LES-DIFFERENTES-ETAPES-VERS-LE-VEHICULE-AUTONOME-Il-est-difficile-de-parler-dun-seul_fig1_331864731

[2] Gaz à effet de serre

[3] Voir : https://trm24.fr/wp-content/uploads/2020/01/Rapport_Cara.pdf

[4] Voir : https://www.aft-dev.com/actualites/levolution-metiers-transport-logistique-suite-lintroduction-vehicule-autonome