Formation, Prospective et innovation, Transport

Anticiper dès aujourd’hui les parcours professionnels des conducteurs qui connaîtront l’automatisation de leurs véhicules

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Aujourd’hui, lorsque l’on parle d’automatisation dans le secteur, on se concentre essentiellement sur l’impact de l’introduction des véhicules autonomes sur les conducteurs routiers qui représentent environ 70% des effectifs de la branche[1]. La participation de l’AFT au projet européen Steer to career[2] nous a ainsi permis de nous interroger sur la manière avec laquelle les autres métiers vont évoluer en même temps que celui du conducteur. Nous avons donc pu penser des parcours professionnels de conducteurs à horizon 2040, soit à un niveau 4 d’automatisation.

 


 

 

Ce quatrième niveau peut être défini comme une automatisation élevée, lorsque le système est capable de maîtriser le véhicule dans des conditions prédéfinies, sur des trajets et parcours délimités. Lorsque le véhicule se trouve dans ces zones géographiques spécifiques, le conducteur n’est plus responsable de la conduite et la délègue entièrement au système. Pour autant, l’obligation de reprendre les commandes demeure en dehors des conditions préétablies ou lorsqu’une intervention le nécessite. En cas d’inaction du conducteur, le système peut se mettre dans un état de risque minimal en se mettant sur la bande d’arrêt d’urgence notamment[3].

Face à ces bouleversements à moyen terme des métiers de la conduite, l’AFT a participé, avec un cofinancement du programme Erasmus+, au projet européen Steer to career, qui s’est clôturé au second semestre 2021, et qui vise à envisager dès à présent les parcours professionnels possibles des conducteurs dont le métier sera disrupté par l’introduction du véhicule autonome. En effet, d’après l’IRU[4], les embauches de conducteurs devraient rester soutenues jusqu’en 2035, avec des pénuries de conducteurs attendues jusqu’à cette période au moins. Puis, avec l’avènement du véhicule autonome d’ici 2040, voire 2050, ces besoins devraient se réduire. Il est donc de notre responsabilité d’envisager dès à présent des parcours professionnels à proposer aux conducteurs. Alors que les métiers de la conduite préparent leurs transformations, il est important de montrer aux acteurs de l’orientation et du placement, aux prescripteurs de formation, et surtout aux jeunes et à leurs familles que la branche professionnelle se préoccupe de leur avenir. Qu’ils intègrent les métiers du Transport et de la Logistique aujourd’hui ou dans les années proches, ils auront la possibilité d‘évoluer en même temps que leurs métiers. Ces derniers seront d’ailleurs porteurs de nouvelles opportunités de carrière, en particulier dans la filière Transport-Logistique.

Méthodologie

L’AFT a créé une méthodologie comportant 3 étapes dans le cadre du projet Steer to Career.

  1. Nous avons tout d’abord identifié les parcours professionnels actuels des conducteurs grâce aux demandes de formations financées par Transition Pro (et anciennement le Fongecif) pour les conducteurs français - poids lourds, véhicules utilitaires légers, autocars et bus - au cours des dernières années. Cela nous a permis d’établir une liste d’une vingtaine de métiers vers lesquels les reconversions de conducteurs sont les plus fréquentes en France, liste corroborée par les partenaires du projet en Allemagne, Angleterre et Grèce.
  2. Nous nous sommes ensuite intéressés à la façon avec laquelle ces autres emplois du Transport et de la Logistique seront susceptibles d’évoluer à horizon 20 ans. Pour cela, nous avons établi une liste de 12 critères tels que les nouvelles activités qui seront réalisées, les compétences induites, le niveau de formation attendue, l’organisation du travail, le rythme, la ligne hiérarchique. C’est sur cette base qu’ont été élaborées des fiches métiers permettant de se représenter leur évolution la plus probable en tenant compte des avancées technologiques.
  3. Enfin, nous avons construit les parcours professionnels possibles à l’échelle européenne. Afin de construire les passerelles, nous avons déterminé au préalable les compétences et les situations de travail pour chacun des 22 métiers. Pour ce faire deux sources ont été utilisées :
  • Le site européen ESCO[5] - European Skills/ Competences, qualifications & Occupations listant les compétences techniques pour chacun des postes au niveau européen
  • Le document de travail réalisé par France Stratégie[6] listant toutes les situations de travail et les compétences dites transversales, définies comme des compétences génériques pouvant s'appliquer à différents types d'emplois et de métiers

Les membres du projet ont comparé les fiches métiers des conducteurs de véhicules de transport de marchandises et voyageurs, qui deviendront respectivement des opérateurs de poids lourd et d’autocars, aux fiches métiers prospectives des autres métiers de la filière Transport-Logistique. Cela nous a aussi permis de mesurer leur degré de proximité, tant sur le plan des compétences requises que des situations de travail.

Les résultats : la plateforme et la brochure

Pour mettre à disposition du plus grand nombre les résultats, l’AFT a conçu deux outils :

  • Une plateforme en anglais, ergonomique et facile d’utilisation, qui permet de visualiser l’ensemble des 21 parcours professionnels décrits
  • Une brochure, reprenant les éléments les plus saillants de l’évolution attendue de 16 métiers du secteur

La plateforme a été créée à l’attention des conducteurs. En répondant à deux questions, ils sont orientés vers un métier du Transport et de la Logistique qui pourrait leur convenir et obtiennent des informations à horizon 2040 : les tâches principales, les compétences requises, la ligne hiérarchique, le rythme et l’organisation du travail, le pourcentage de compatibilité du métier par rapport au métier de conducteur. Soit, toutes informations susceptibles de permettre à un individu de se projeter dans sa carrière à venir.

 

Cette étude, au sein du projet Steer to career, nous permet d’avoir un aperçu de 22 métiers du Transport et de la Logistique de demain et des compétences nécessaires pour les exercer. Les compétences, savoir-faire et savoir-être des conducteurs sont précieux, un véritable atout à conserver au sein de son entreprise et du secteur. Accompagner les transitions professionnelles des conducteurs permettrait donc leur épanouissement et la valorisation de leurs compétences.

Quelques exemples de résultats

Le projet s’attache en particulier à répondre aux questions suivantes :

Quels seront concrètement les métiers vers lesquels la reconversion des conducteurs sera la plus facile et pour quelles raisons ?

Pour répondre à cette première question, nous pouvons analyser le ratio de compatibilité établi entre chacune des professions décrites dans les fiches métiers horizon 2040 et les professions d’opérateur de poids lourds et d’autocars. Ce ratio se base sur le pourcentage de similarité entre les métiers sélectionnés deux à deux du point de vue des principales tâches effectuées et des compétences mobilisées.

Ainsi, on met logiquement en évidence les mobilités professionnelles que les conducteurs de transport routier de marchandises - ou opérateurs de poids lourd - pourront effectuer le plus facilement. Ce sont en premier lieu les autres métiers de la conduite, avec 96% de compatibilité avec le métier de pilote de convois routiers et 91% avec le métier de conducteur livreur repreneur, soit deux métiers du futur. Le premier conduira un convoi de véhicules lourds en pelotons (platooning), le deuxième sera en charge du bon déroulement de la livraison terminale et offrira des services supplémentaires centrés principalement sur la relation client. Arrivent ensuite le guide accompagnateur (79%) centré sur les prestations de transport routier dans le tourisme, l’opérateur d’autocars (78%) qui prendra le contrôle manuel du véhicule en début et fin de trajet et supervisera le véhicule autonome le reste du temps, le moniteur auto-école (69%) qui assurera la formation des usagers de la route, et l’opérateur de mobilité (66%) qui fournira des services de transport routier à distance, en pilotant un ou plusieurs poids lourds depuis un centre de contrôle.

Dépasser la comparaison de la compatibilité globale pour se concentrer sur les compétences techniques et transversales ainsi que les situations de travail qui la composent permet de révéler les écarts de compétences à combler pour réussir les passerelles professionnelles. Le tableau ci-dessous développe ainsi la compatibilité des métiers avec celui de l’opérateur de poids lourd :

 

 

Tableau poids lourdsTableau des métiers ayant avec la compatibilité globale la plus élevée à 55% avec le métier d’opérateur de poids lourd

 

Ainsi, bien que les métiers de conducteur accompagnateur de personnes à mobilité réduite (PMR) et de conseiller à la sécurité pour le transport de marchandises dangereuses présentent un ratio de compatibilité globale identique - soit 55% - avec le métier d’opérateur de poids lourd, le premier en est techniquement plus proche (la proximité de compétences techniques entre le conducteur PMR et l’opérateur de poids lourd est de 35% contre 21% entre le conseiller à la sécurité et l’opérateur de poids lourd), tandis que le second mobilise une large panoplie de compétences transversales communes à celles de l’opérateur de poids lourd (la compatibilité de compétences transversales et de situations de travail est de 74% pour le premier et 89% pour le second).

Cela signifie que la reconversion vers le métier de conducteur accompagnateur de PMR demandera moins de formation technique mais plus d’adaptation comportementale par rapport à l’environnement connu. A l’inverse, la reconversion vers le métier de conseiller à la sécurité pour le transport de marchandises dangereuses demandera plus de formations techniques mais les compétences comportementales nécessaires seront quasiment identiques.

 

Le même exercice peut être fait pour le conducteur de véhicules de transport de voyageurs - ou opérateur d’autocar -, qui aura des affinités similaires avec les métiers de la conduite : en premier lieu le métier d’opérateur de bus, qui est spécialisé dans la conduite en ville (taux de compatibilité de 90% : 88% de compétences techniques similaires et 92% de compétences comportementales et situations transversales de travail), puis le guide accompagnateur (89%). Viennent ensuite les métiers de conducteur livreur repreneur et d’opérateur de poids lourd à égalité avec 76%, de moniteur auto-école à 72% puis l’opérateur de mobilité à 62%.

 

Tableau autocarsTableau des 6 métiers ayant avec la compatibilité globale la plus élevée avec le métier d’opérateur d’autocar

 

Quelles seront les compétences qui seront requises pour évoluer professionnellement dans le Transport et la Logistique ?

Il est possible de répondre à cette question en s'intéressant aux compétences qui seront les plus demandées au niveau des 21 métiers de l’étude.

Pour information, la liste complète des métiers de l’étude est la suivante : Moniteur automobile, Attaché technico-commerciale, Assistant logistique, Employé administratif, Conducteur accompagnateur de PMR, Conducteur accompagnateur tourisme, Moniteur automobile, Formateur en entreprise, Cariste, Technicien de maintenance de véhicules, Opérateur de convoi ou de platooning, Opérateur d’autocar, Responsable d'exploitation bus, Opérateur de poids lourd, Agent d’exploitation transport, Conseiller à la sécurité, Directeur générale, Opérateur logistique en entrepôt, Dispatcheur transport de marchandises, Opérateur d'ambulance, Opérateur de mobilité, Conducteur livreur repreneur.

Nous allons nous pencher dans un premier temps sur les compétences techniques, qui se rapportent à une acquisition par l’individu durant son parcours (qu’il soit scolaire, universitaire ou professionnel), d’un savoir ou d’une expérience justifiant son aptitude à la réalisation de certaines tâches.

 TOP 20 compétences techniques mentionnées dans les 22 métiers de l’étude :

  1. Rédiger des rapports de travail – 18 mentions, soit 82% des métiers
  2. Repérer les anomalies et les incohérences - 18 mentions, soit 82% des métiers
  3. Utiliser des dispositifs de communication - 14 mentions, soit 64% des métiers
  4. Utiliser différents canaux de communication - 13 mentions, soit 59% des métiers
  5. Rester vigilant - 12 mentions, soit 55% des métiers
  6. Garer les véhicules - 12 mentions, soit 55% des métiers
  7. Contrôler les performances du véhicule - 11 mentions, soit 50% des métiers
  8. Connaître et utiliser les équipements et outils de sécurité disponibles - 11 mentions, soit 50% des métiers
  9. Réserver les installations de ravitaillement en carburant et de recharge par le biais d'appareils numériques - 10 mentions, soit 45% des métiers
  10. Connaître les processus et responsabilités en matière d'entretien - 10 mentions, soit 45% des métiers
  11. Utiliser les technologies embarquées - 10 mentions, soit 45% des métiers
  12. Assurer le fonctionnement du véhicule - 10 mentions, soit 45% des métiers
  13. Conduire des véhicules - 10 mentions, soit 45% des métiers
  14. Reprendre le contrôle du véhicule - 9 mentions, soit 41% des métiers
  15. Protocole de premiers secours en cas d'accident - 9 mentions, soit 41% des métiers
  16. Effectuer un contrôle avant le départ - 9 mentions, soit 41% des métiers
  17. Effectuer des contrôles de diagnostic et de maintenance préventive - 9 mentions, soit 41% des métiers
  18. Préparer un registre des vices et des dommages - 8 mentions, soit 36% des métiers
  19. Manipuler des systèmes et des dispositifs numériques d'assistance pendant le contrôle et l'enregistrement au départ - 8 mentions, soit 36% des métiers
  20. Percevoir précisément l’environnement de conduite - 8 mentions, soit 36% des métiers

 

Les compétences techniques les plus demandées illustrent parfaitement la mutation du rôle de la machine : elle accompagnera l’humain dans son travail et s’occupera des tâches les plus rébarbatives et répétitives. Les métiers traditionnellement manuels s’orienteront alors à la fois vers plus de réflexion, de relationnel et de contrôle (détection des anomalies, utilisation des différents supports et canaux de communication…).

Penchons-nous maintenant sur les compétences transversales et situations de travail. Les compétences transversales peuvent être techniques ou comportementales et s’appuient sur des savoirs de base et communs à différentes situations professionnelles, ainsi que des aptitudes comportementales, organisationnelles ou cognitives.

 

TOP 20 des niveaux moyens de compétences transversales & situations de travail évalués pour les 22 métiers de l’étude :

  1. Utilisation des outils informatiques (utilisation du matériel informatique, aussi en dehors du lieu de travail) - 9.38/10
  2. Lecture ou rédaction de documents (lecture, écriture et renseignement quotidiennes de documents, textes, fiches consignes) - 9.17/10
  3. Procédures de qualité et prise en charge des risques (suivi des normes de qualité strictes, risque financier / qualité / danger physique) - 8.57/10
  4. Norme de production ou de délais (Norme de production ou de délais en une journée / une heure, objectifs chiffrés précis) - 8.10/10
  5. Autonomie dans les procédures (application de consignes, possibilité de faire varier les délais, gestion des incidents) - 7.67/10
  6. Travail en équipe (travail seul et possibilité de coopérer avec ses collègues, a l’occasion d’aborder collectivement des questions ou de fonctionnement de l’unité de travail) - 7.52/10
  7. Réponse immédiate à la demande (rythme de travail imposé par une demande extérieure nécessitant une réponse immédiate) - 6.90/10
  8. Contact avec le public (si parfois / souvent / tout le temps en contact avec le public) - 6.76/10
  9. Attention visuelle ou sonore (fait attention à des signaux visuels ou sonores brefs, imprévisibles ou difficiles à détecter) - 6.67/10
  10. Rythme de travail (imposé par le déplacement d’une pièce, la cadence automatique d’une machine / par un contrôle hiérarchique / par la demande extérieure (exigeant ou non une réponse immédiate)) - 6.48/10
  11. Coopération (aborder collectivement des questions d’organisation ou de fonctionnement) - 6.43/10
  12. Changements organisationnels (si changement de poste ou de fonction / dans les techniques utilisées, si restructuration ou déménagement de l’entreprise) - 5.36/10
  13. Travail sous pression (si parfois / souvent / toujours obligé de se dépêcher, si doit fréquemment interrompre une tâche pour en effectuer une autre non prévue, si pas de possibilité d’interrompre son travail comme on le souhaite, si pas de temps suffisant pour effectuer le travail) - 4.90/10
  14. Polyvalence (rotation régulière entre différentes tâches / postes occupés en fonction des besoins de l’entreprise) - 4.05/10
  15. Charge émotionnelle (si situations de tension dans les rapports avec le public / les supérieurs hiérarchiques / les collègues / les personnes que l’on encadre, si au contact de personnes en situation de détresse, si besoin de calmer des gens) - 4.05/10
  16. Efforts physiques (si reste longtemps dans une posture pénible ou fatigante à la longue, si porte ou déplace des charges lourdes, si reste longtemps debout, si effectue des déplacements à pied longs ou fréquents) - 3.81/10
  17. Dimension répétitive du travail (série de gestes ou d’opérations à répéter continuellement, tâches monotones, le travail permet d’apprendre des choses nouvelles) - 3.57/10
  18. Examen de petits objets (examen d’objets très petits, des détails fins) - 3.57/10
  19. Encadrement, supervision (si superviser le travail d’autres salariés est/ n'est pas / n’est jamais la tâche principale) - 2.14/10
  20. Environnement physique (si inconvénients liés à température basse ou élevée / à l’humidité/ au courant d’air) - 0.95/10

Dans la lignée des compétences techniques, on constate ici aussi l’évolution du rôle de l’humain par rapport à la machine, qui utilisera des outils informatiques pour effectuer les tâches de contrôle tout en respectant les procédures de qualité et de suivi. Ainsi, l’ensemble des métiers du Transport et de la Logistique vont requérir des compétences techniques et comportementales autour de l’informatique ainsi que du contrôle et suivi qualité, qu’elles soient acquises en formation initiale, continue ou en situation de travail.

 

[1] 68% des effectifs sont dans la famille professionnelle de la conduite au 21.12.2019  http://www.optl.fr/parution/rapport-annuel/RAPPORT-OPTL-2020-Jan21.pdf

[2] Pour en savoir plus sur ce projet qui vient de se terminer, vous pouvez consulter la page projet Steer to career sur le site de l’AFT :  https://www.aft-dev.com/projets/steer-career

[3] Nous avions déjà abordé de façon synthétique les différents niveaux d’automatisation :

https://www.aft-dev.com/actualites/quels-sont-differents-degres-delegation-conduite

[4] Vous trouverez ci-dessous la synthèse et l’accès à l’étude de l’IRU :

https://www.aft-dev.com/actualites/conduite-connectee-automatisee-liru-devoile-scenarios-lemploi

[5] Accessible via ce lien https://ec.europa.eu/esco/portal/occupation

[6] Vous pouvez trouver un article récapitulatif ainsi que le document de travail ici https://www.strategie.gouv.fr/publications/situations-de-travail-competences-transversales-mobilite-entre-metiers

Informations annexes au site